Panne de batteries

L’énergie à Bord

Bilan énergétique du voilier

La capacité à produire et stocker l’énergie nécessaire au bon fonctionnement des appareils du bord est un des systèmes essentiels qui « composent » un voilier. Lorsqu’on aborde la question de la consommation énergétique d’un voilier comme Lady Mi, on distingue généralement deux situations. La première est celle que l’on rencontre lorsque le bateau est au port ou au mouillage, c’est à dire qu’il ne navigue pas. Dans cette configuration, Lady Mi consomme approximativement 100 ampères heure (ah). Cette consommation équivaut à peu près à celle d’un appareil qui consomme 4 ampères (48 watts en 12volts) en continu durant 24 heures (4×24). Le principal consommateur dans cette configuration est le frigo auquel il faut ajouter divers petits consommateurs comme les chargeurs des téléphones, des ordinateurs, l’éclairage, le fonctionnement de la pompe qui génère la pression de l’eau… La seconde situation que l’on peut considérer est celle du bateau en navigation. La consommation de Lady Mi est alors de 250 ah par 24 heures. C’est principalement le fonctionnement des instruments de navigation et du pilote automatique qui explique la différence entre ces deux consommations. Cette énergie, nous la stockons dans un parc de batteries 12 volts appelé parc de service. Différents types de batteries peuvent être utilisés pour constituer ces parcs, allant des batteries au plomb à électrolyte liquide jusqu’aux batteries lithium. Au moment du départ, le parc service de Lady Mi était constitué de deux batteries « plomb-carbone » d’une capacité individuelle de 270 ah. Cela signifie qu’en l’absence totale de production, durant 24 heures de navigation, nous consommions la moitié de notre réserve. Les batteries « plomb-carbone » sont une variante des batteries au plomb. Les plaques des cellules sont couvertes de carbone pour en réduire l’usure. En outre, l’électrolyte n’est pas liquide mais en grande partie absorbé sur de la fibre de verre. Ces batteries ont normalement une durée de vie de 10 ans et ont la capacité de tolérer des décharges profondes (entre 50 et 80 %) ainsi que des recharges incomplètes. Outre le parc service, le moteur possède sa propre batterie qui n’est pas reliée au service et ne peut donc être utilisée que pour démarrer le moteur. Le bateau compte enfin une troisième batterie située à l’avant et dont le rôle est de fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement du propulseur d’étrave durant les manœuvres de port.

Lorsque nous naviguons, la tension des batteries, la consommation depuis la dernière charge complète exprimée en ah ainsi que le taux de charge en % sont affichés sur un petit écran situé à la table à carte. La personne de quart a, entre autres, pour mission de surveiller la consommation énergétique du bord et l’état des batteries.

Pour charger ces batteries, nous disposons à bord de quatre sources d’énergie mais elles ne sont pas toutes disponibles en permanence. Premièrement, l’alternateur qui est une sorte de grosse dynamo entraînée par la rotation du moteur. Il ne produit du courant que lorsque le moteur tourne et sa principale fonction est, comme sur une voiture, d’assurer la recharge de la batterie moteur entre deux démarrages. Grâce à un coupleur de batteries, l’alternateur charge aussi le parc service lorsque la batterie moteur est chargée. Il s’agit toutefois d’un courant peu adapté au type de batteries utilisé pour le service, que nous n’utilisons que comme appoint et le plus rarement possible ou bien en situation d’urgence. Les panneaux solaires sont notre deuxième source de charge. Le bateau est équipé de 360 watts de panneaux qui, en moyenne, produisent 100 ah sur 24 heures et étalent donc la consommation du bateau dans la configuration mouillage. Le bateau est aussi équipé d’un hydrogénérateur. Il s’agit d’une hélice placée sous la coque et qui tourne dans l’eau lorsque nous naviguons. En fonction de notre vitesse, la production est de 100 à 200 ah par 24 heures. L’hydrogénérateur permet donc d’étaler la consommation des instruments et du pilote de sorte que nous n’ayons pas besoin de recourir au moteur pour charger les batteries. Il peut néanmoins arriver, lorsque la vitesse moyenne est faible et que les jours sont courts ou peu ensoleillés, qu’un appoint moteur soit nécessaire pour recharger le service. Enfin, lorsque nous sommes au port, le bateau est relié au réseau 220 volts, ce qui permet de disposer de 220 v à bord et aussi recharger les batteries avec le chargeur de quai.

La panne de batterie

Nous avons quitté Fuerteventura vers 21 heures. Le vent étant faible, le bateau n’avançait qu’à 4 nœuds environ. A cette vitesse, l’hydrogénérateur ne produit pas assez de courant pour assurer le fonctionnement de tous les appareils. Nous puisons donc dans nos batteries. Cette situation n’a, en soi, rien d’anormal, d’autant plus que avec l’ensoleillement des Canaries à cette saison, la production diurne des panneaux solaires est capable de combler le déficit creusé la nuit. Après quatre heures de navigation, une alarme signalant un dysfonctionnement du pilote automatique a sonné à deux reprises. Rapidement, nous avons observé que la tension du parc des batteries de service avait chuté à 11.6 volt, ce qui signe un épuisement total de leur capacité alors que nous n’avions navigué que quatre heures et consommé 40 ah, soit moins de 10 % de leur capacité théorique totale. Nous avons donc immédiatement démarré le moteur que nous avons laissé tourner 30 minutes pour recharger un peu les batteries en attendant le lever du jour et la production solaire.

Après notre arrivée à Arrecife, nous avons entrepris une série de tests pour évaluer l’état des batteries. Nous les avons rechargées complètement et puis avons mesuré leur tension régulièrement durant 24 heures après déconnexion de tous les consommateurs pour voir si elles étaient capable de « conserver leur charge », ce qui était le cas. Nous avons ensuite testé leur capacité à maintenir leur tension alors que nous appliquions un gros consommateur comme le guindeau de l’ancre qui demande 50-60 ampères au démarrage. Nous n’avons rien trouvé de très anormal. Enfin, nous avons fait un test de capacité c’est à dire que nous avons, après avoir déconnecté toutes les sources de charge, suivi l’évolution de la tension alors que nous imposions une consommation régulière de 5 à 10 ampères. Ce dernier test a révélé que les deux batteries avaient perdu la quasi totalité de leur capacité. Leur tension chutait à moins de 12v après une consommation d’une vingtaine d’ah. A l’aide d’une pince ampèremétrique appliquée à l’origine du parc, nous avons aussi exclu la présence d’un consommateur caché ou d’une fuite de courant et avons donc du nous résoudre à accepter l’idée que ces batteries, qui avaient pourtant moins de deux ans, devaient être remplacées. A ce jour, nous n’avons pas d’explication claire quant à l’origine de cette défaillance. Nous n’avons jamais imposé à ces batteries de décharges profondes. Certains jours où l’ensoleillement était limité et lorsque l’hydrogénérateur a été bloqué par un filet de pêche, nous avons fait des recharges incomplètes, ce qui signifie que la batterie termine la journée incomplètement chargée avant de se décharger à nouveau la nuit. Les batteries de type « plomb-carbone » sont normalement conçues pour mieux tolérer ces recharges incomplètes et nous estimons qu’il y en a eu moins de dix depuis leur installation.

Même s’il est douloureux de devoir se séparer de batteries presque neuves, nous estimons avoir de la chance pour diverses raisons. Premièrement, le problème est survenu au cours d’une navigation courte. Nous sommes arrivés au port moins de 24 heures plus tard et n’avons pas dû modifier nos plans de navigation. La situation aurait pu être bien plus difficile si le problème s’était produit au début d’une traversée de plusieurs jours. Deuxièmement, nous arrivions à Arrecife, la capitale de Lanzarote, où les magasins sont bien achalandés et où nous avons donc pu trouver assez facilement le matériel nécessaire à la réparation. Enfin, nous sommes amarrés au même ponton que le voilier Célédon dont le skipper Chris, en voyage depuis 4 ans, est électricien maritime. Nous avons donc pu profiter de ses compétences pour installer un nouveau parc de service.

Remplacement du parc et de divers périphériques

Cette avarie et la présence de Chris nous ont amené à repenser le parc service et sa cohérence avec les consommateurs et les sources de charges. Nous avons opté pour l’installation de trois batteries AGM d’une capacité individuelle de 140 ah. Sans entrer dans les détails, la technologie AGM est une technologie éprouvée, capable de tolérer occasionnellement des décharges profondes et dont les caractéristiques sont bien adaptées aux besoins d’un parc service. La taille de ces batteries permettait aussi une bonne installation dans le coffre dédié, ce qui est essentiel. En effet, chaque batterie pèse 40 kg et elles doivent être parfaitement coincées pour ne pas bouger avec les mouvements du bateau. Nous n’avons pas touché aux panneaux solaires qui rencontrent nos besoins. Le chargeur de quai, bien que d’excellente facture, était sous-dimensionné pour le parc de batteries. Nous l’avons donc remplacé par un plus puissant, ce qui a imposé une modification de câblage car qui dit plus de courant dit aussi plus gros câbles. Enfin, nous avons ajouté ça et là quelques fusibles et dispositifs de sécurité qui n’existaient pas au moment de la construction du bateau (il y a 24 ans déjà) mais sont aujourd’hui disponibles et donc recommandés. En particulier, nous avons ajouté sur la ligne de charge de la batterie du propulseur d’étrave un chargeur de batterie à batterie. Cette ligne de charge est alimentée par l’alternateur lorsque le moteur tourne. Quand le propulseur d’étrave est activé, l’intensité du courant peut atteindre 350 A qui sont directement délivrés par la batterie qui se trouve à proximité de celui-ci mais qui se répercute à l’instar d’une cascade d’eau sur les batteries de service et l’alternateur. Or le câble qui relie l’alternateur à la batterie du propulseur a une longueur de 12 m aller-retour et une section de 35mm2. Faire circuler autant de courant sur un tel câble expose à un risque de surchauffe et d’incendie. Le chargeur de batterie à batterie permet de limiter l’intensité à 30 A, ce qui ne représente aucun danger pour l’installation. Au total, j’ai travaillé trois jours pour rassembler le matériel, tirer les câbles, enlever les anciennes lignes et placer les appareils. Chris est ensuite venu à bord pour valider l’installation, faire les connexions et les tests.

A l’heure de clôturer cet article, nous avons réalisé un test de capacité sur le nouveau parc. Tout fonctionne normalement et nous pouvons dès lors aborder sereinement la traversée vers Madère.