La Manche

Nous avons beau avoir voyagé loin, avoir multiplié les miles nautiques et les îles coup de cœur, le Royaume Uni reste notre madeleine de Proust, le souvenir d’une jeunesse qui ne s’avoue pas terminée. Les saveurs chaudes et contrastées, les détails des maisons colorées, les enseignes typiques, les églises vivantes, les motifs des vêtements, les intonations de la langue, les bruits et les odeurs éveillent des souvenirs enfouis qui ne demandent qu’à refaire surface avec bonheur. Nous multiplions les escales et les escapades (Cornouailles, Devon, Dorset), en nous émerveillant d’un rien (en particulier de la gastronomie). Charlotte partage notre excitation, même si nos souvenirs remontent à une époque antérieure à sa naissance. Nous ne sommes pas seuls à voyager dans le temps. Les touristes anglais sont nombreux, attirés sans doute par ces stations balnéaires à l’ambiance rétro, qui nous rajeunissent d’un siècle (ou deux).

Ensuite, il faut nous rendre à l’évidence : plus nous avançons dans la période estivale, plus les places de port et de mouillages sont difficiles à négocier. Les régates s’ajoutent aux vacanciers, la Manche est remplie de voiliers : il est l’heure pour nous de rentrer à la maison. Profitant d’une fenêtre de vents prolongée, et d’une succession de courants favorables, nous remontons rapidement vers le Nord, re-traversons la Manche à hauteur de Douvres, et arrivons en Belgique après 36 petites heures de navigation. Jamais nous n’avions traversé la Manche aussi vite. Cette fois-ci, nous ne remplirons la tirelire familiale à gros-mots : les conditions sont idéales et les skippers ne pestent pas contre l’absence de vent. Nous sommes bien trop occupés à scruter les cargos qui nous entourent: c’est notre première traversée de la Manche de nuit.

A Nieuwpoort, nous sommes accueillis par les phoques (très nombreux).
Lady Mi retrouve exactement la même place qu’il y a 12 mois, simplement devenue discrètement plus étroite depuis les travaux du KYCN. Nous regardons, hébétés et heureux, un monde qui semble avoir peu changé pendant que nous avions l’impression de bouleverser notre vie. La boucle est bouclée, nous sommes tous sains et saufs (avec des côtes en moins pour certains, mais c’était pour équilibrer le nez cassé à Las Palmas), les sens encore en alerte, la tête pleine de rencontres insolites, de promesses et de projets.

Publié par Anne-Lise

En pleine crise de la quarantaine au moment du départ, elle n’avait jamais navigué avant la naissance du projet. Cependant, elle vient d’une famille où le voyage est permanent, souvent pour étudier, pour travailler, pour sauver sa peau (parfois) ou par amour (aussi). Petite fille, elle aimait beaucoup l’école, donc ce projet a été un excellent prétexte pour retourner à l’école (le bateau, les télécommunications, les langues) ou apprendre sur le tas (à gérer le mal de mer, à gérer les stocks et l’énergie, à se débarrasser du superflu). Se retrouver en famille et renouer avec l’essentiel est l’atout majeur de ce projet.