Golfe de Gascogne, premier essai. Le jour où Lady Mi a vaincu son équipage

Peu de temps après notre arrivée à Camaret-Sur-Mer, les prévisions météorologiques se dégradent franchement. On annonce l’arrivée d’une première dépression, puis de la tempête tropicale Danielle qui sera reclassée plus tard en ouragan de catégorie 1, lui-même suivi d’une troisième dépression. Devant ces prévisions peu engageantes, nous prenons la décision de naviguer vers Brest avec l’idée d’y trouver un bon abri d’une part et d’autre part de bénéficier des facilités logistiques et des opportunités culturelles offertes par une grande ville.

Nous naviguons donc vers Brest par beau temps. Les paysages offerts par la rade sont très jolis et les conditions de navigations y sont excellentes. Charlotte assure un magnifique reportage photos et vidéos.

Après trois heures de navigation, nous arrivons à la marina du Moulin Blanc. Peu après notre arrivée et comme prévu, le temps se dégrade. La première dépression s’installe durablement à l’ouest de l’Irlande. Elle nous envoie durant une bonne semaine un vent soutenu de sud-ouest avec de fortes rafales et de violentes averses. Il est illusoire de penser à prendre la mer dans ces conditions. Nous en profitons pour nous balader et visiter un peu la ville

Le centre de Brest semble agréable à vivre. Nous descendons l’artère principale en direction du château qui abrite aujourd’hui le musée de la marine nationale que nous n’aurons malheureusement pas la possibilité de visiter. Sans but et sans même savoir où nous allons, nous empruntons le téléphérique qui passe au dessus de la Penfeld. Il nous mène « aux ateliers ». Nous y découvrons qu’il s’agit des hangars d’un ancien chantier naval qui ont été reconvertis en un site où cohabitent espaces de détentes, zones de co-working, petits commerces, activités culturelles et entreprises centrées sur une activité locale. Tant sur le plan architectural que de part l’ambiance qui imprègne ce lieu, cette reconversion est remarquablement réussie.

Brest est aussi l’occasion de faire un peu de bricolage sur Lady Mi. Depuis quelques temps, nous avons des petits problèmes avec l’anémomètre qui donne parfois des mesures incohérentes. Je monte au mat pour essayer de comprendre ce qui se passe. Je ne vois pas vraiment pourquoi les coupelles se bloquent par moment. Je graisse le tout et cela semble rentrer dans l’ordre. Par contre, je constate qu’une partie du feu de mouillage est manquante. La seule solution est de procéder au remplacement du feu. Je passe plus d’une heure en tête de mat pour installer le nouveau feu ; Le plus difficile étant d’effectuer la soudure des fils à cette hauteur et sans pouvoir aisément les stabiliser dans une bonne position. Je ne suis pas content de l’esthétique de la soudure mais elle est fonctionnelle. Nous ne sommes toujours pas débarrassés de nos problèmes d’antenne GPS. Lorsque nous allumons les instruments du bord, et cela depuis plus d’un an, nous n’avons pas toujours de données de position et l’antenne est indétectable sur le réseau. Après avoir procédé à une vérification complète du système et enlevé une terminaison excédentaire, nous pensions avoir réglé le problème. Malheureusement, nous perdons à nouveau régulièrement ces données essentielles à la sécurité et au confort de la navigation. Je décide donc de commander une nouvelle antenne. Suite au prochain épisode…

La pluie nous contraint aussi à passer davantage d’heures à bord et en particulier à l’intérieur. Nous y partageons de bons moments faits d’innombrables parties de Scrabble, quelques parties d’échec, de la lecture, de la musique et d’un peu de travail. Le temps ne semble pas long.

Les journées sont aussi rythmées par l’analyse des données météorologiques qui sont mises à jours toutes les 12 heures, à 9h30 et 21h30. Nous attendons des conditions favorables à un départ vers l’Espagne. La traversée du golfe de Gascogne est réputée difficile et nous savons que plus le temps passe, plus la probabilité de bénéficier de bonnes conditions météorologiques et d’une mer raisonnablement calme s’amenuise. Nous identifions une possibilité de départ le vendredi 9/09 mais elle n’est pas idéale. Le vent est à l’ouest, ce qui implique de naviguer au bon plein pour commencer. Pour les non initiés, cela signifie que le bateau gîte assez fort (penche) et que la vie à bord y est difficile. Il faut aussi négocier un passage de front en milieu de traversée mais cela paraît jouable. Enfin, il y a entre 2 mètres et 2,5 mètres de houle d’ouest au moment où il faudrait partir mais il est prévu qu’elle s’atténue… Cela fait 9 jours que nous sommes bloqués et il n’y a pas d’autres opportunités de départ en vue à court terme, alors nous décidons de tenter notre chance. Comme nous savons que les conditions seront difficiles, nous prévoyons un plan B qui est de nous dérouter vers Concarneau après le passage du raz de Sein, et un plan C qui est de faire un nouvel arrêt à Camaret-Sur-Mer à la sortie de la rade de Brest.

Afin de prendre un bon départ, nous devons passer le raz de Sein avec le courant favorable, c’est à dire avant 10h30. Nous larguons donc les amarres à 5h30 après avoir fait un appoint de gasoil. Avec le vent à l’ouest, il faut tirer des bords pour sortir de la rade de Brest. Le vent souffle a environ 5 Beauforts mais les rafales atteignent 7 Beauforts. Nous naviguons avec deux ris dans la grand voile (environ 60 % de sa taille maximale) et la trinquette (petite voile d’avant). Nous arrivons au niveau du goulet vers 7H00. A cet instant, la mer se lèvre brutalement, matérialisant la transition entre la rade, protégée, et l’avant goulet, qui ne l’est pas. Non seulement, c’est inconfortable mais cela ralentit considérablement notre progression. Nous avons hâte d’abattre (orienter notre route plus au sud) pour être moins face à la houle et au vent. En raison de l’inconfort et du mal de mer qui ne tarde pas à s’installer, nous faisons un petit tour de table. L’équipage est unanime: pas d’arrêt à Camaret, on continue… Après deux heures, le vent commence à faiblir et je crains de ne pas être assez rapide pour passer le raz avec le courant favorable. Nous affalons donc la trinquette, envoyons le génois (grande voile d’avant) et larguons les deux ris dans la grand voile. La manœuvre prend 20 minutes. A peine est-elle terminée que nous voyons arriver sur nous un énorme grain orageux. Pas le temps de faire quoi que ce soit. L’anémomètre enregistre 30 nœuds et des trombes d’eau s’abattent sur le bateau. La navigation est franchement sportive mais il y a du positif: Notre vitesse monte à huit nœuds pendant 1h30, ce qui nous permet d’arriver tout juste à l’étale du courant au niveau du raz.

Ile de Sein

Lady Mi se comporte très bien et nous nous sentons en sécurité mais il faut être honnête, nous sommes loin du cliché de la chaîne de voile youtube… Le cockpit est en vrac avec les bouts (cordages) non rangés après les manœuvres, nous sommes trempés et malades à des degrés divers. Nouveau petit tour de table: nous passons au plan B et mettons cap vers Concarneau. La mer se tasse progressivement et le ciel s’éclaircit, ce qui nous permet de récupérer. Nous approchons Concarneau vers 18h30. J’appelle à la VHF pour demander une place mais ils nous annoncent que le port est complet et qu’ils ne savent pas nous accueillir. Nous devons nous dérouter vers Port-La-Forêt dont je ne connais pas l’approche. Comme toujours dans ces moments là, le vent monte à 20 nœuds et le bateau accélère alors que nous aimerions prendre le temps d’étudier la carte et la plan du port. Je mets le bateau à la cape (sorte de position d’arrêt avec les voiles hissées). Nous regardons rapidement comment aller vers Port-la-Foret et puis prenons la route du chenal. Nous amarrons vers 19h30, fatigués mais contents.

Bourg-la-Foret

Cette navigation est la plus difficile que nous ayons faite jusqu’à présent et elle nous a appris énormément de choses. La première étant que le bateau passe bien la mer et reste facile à manoeuvrer même quand les conditions se durcissent. Nous sommes rassurés sur ce plan là et comme tout bon bateau, il est plus fort que son équipage. La seconde est que plus de deux mètres de houle de face ou bien de travers et une allure de près rendent le bateau invivable car la gîte et le roulement se conjuguent. En pratique, cela signifie qu’il est difficile de descendre dans le carré et impossible de préparer autre chose à manger que du grignotage. Ces conditions sont supportables quelques heures. Par contre, il nous paraissait difficile de les tenir durant l’entièreté de ce qui devait être notre plus longue navigation à ce jour. Ceci explique le passage au plan B. Au moment où j’écris ces lignes, une meilleure fenêtre météo se dessine et nous avons l’intention d’en profiter.