La Coruna

Après quelques jours passés à Ribadeo, nous pensons à reprendre la route et nous recommençons donc l’éternel jeu de l’analyse des prévisions météorologiques. Nous souhaitons mettre le cap vers la Corogne. La navigation n’est pas simple car elle impose plusieurs changements de cap et donc d’allure ainsi que le passage de la pointe de Bares et du cap Ortegal. Ces passages sont connus pour produire des accélérations de vent importantes. De surcroît, la mer y est souvent assez forte même lorsque les conditions de navigation sont considérées comme maniables. Nous connaissons, indirectement, deux équipages qui ont dû faire demi-tour avant la pointe de Bares. Si cela devait nous arriver, la ria Viveiro est notre solution de repli.

Nous optons finalement pour un départ le vendredi 23 septembre en début de soirée. Cette fenêtre météo comporte pour nous plusieurs avantages. Premièrement, la houle annoncée est raisonnable, en particulier en début de navigation. C’est important parce que, durant la première partie, nous devrons naviguer contre les vagues. Lorsqu’elles sont trop hautes, elles ralentissent la progression et créent des conditions très inconfortables. Deuxièmement, le vent est annoncé nord nord-est modéré. Nous devrons donc tirer des bords de prés pour nous dégager de la côte, mais la suite de la navigation se fera au travers et puis au portant.

Nous larguons les amarres vers 20h00 et établissons les voiles. Le vent est encore faible mais nous permet de progresser à une vitesse de 4 noeuds. La houle est supportable. Après trois quarts d’heure de navigation, nous apercevons au large des fusées. Elles ressemble à un tir de feux d’artifices rouges et blancs. Elles ne sont pas typiques des fusées de détresse utilisées par les navires qui appellent à l’aide. Nous prenons un relèvement au compas qui nous confirme qu’il est impossible que ces fusées soient tirées de la côte. Nous n’apercevons pas de navire dans la direction des tirs et il n’y a pas non plus de contact radar. Nous hésitons quant à qui appeler. Le temps de chercher, nous sommes contactés à la VHF par la « radio navale » qui nous indique que le MRCC (centre de coordination des secours maritimes) Gijon souhaite entrer en contact avec nous. L’officier de quart nous demande si nous avons aperçu quelque chose d’anormal. Je lui explique les lumières dans le ciel et l’absence de contact radar ou visuel avec un autre bateau. Il nous remercie et nous rassure en évoquant la possibilité d’un exercice militaire. Les tirs cessent et le nuit tombe. Nous apercevons alors, toujours dans la direction des tirs, des feux évoquant la présence d’un navire. Nous ne reconnaissons toutefois pas la combinaison classique des feux de navigation. Un contact radar apparaît à 4,3 miles nautiques de notre position. Nous surveillons le contact et continuons notre route. La distance entre le bateaux est stable et il n’y a pas de route de collision. Après environ une heure, le contact disparaît subitement. Nous ne saurons jamais de quoi il s’agissait.

Charlotte va dormir et nous organisons les quarts de nuit. Pour cette navigation qui s’annonce agitée, nous avons aménagé le carré en mode navigation de nuit. Cela signifie que nous abaissons la table pour disposer d’un grande surface pour s’allonger au plus près du centre de gravité du bateau, c’est à dire là ou ça bouge le moins et que nous mettons une toile anti-roulis pour que celui qui dort sur la banquette ne soit pas éjecté par les mouvements du bateau. C’est Charlotte qui dort sur la banquette tandis que l’équipier qui n’est pas de quart dort dans une cabine arrière.

La mer se lève progressivement et nous essuyons des grains, courts épisodes de pluie intense accompagnée de rafales de vent. Nous abattons au travers avant la pointe de Bares. Le vent est établi à 15 nœuds et les rafales atteignent entre 20 et 25 nœuds. Nous naviguons avec deux ris dans la grand voile et le génois partiellement roulé; Lady Mi file entre 7 et 8 nœuds. Les vagues ne sont pas particulièrement hautes mais la mer est courte et désordonnée, ce qui entraîne des mouvements brusques du bateau. Associés à la gîte, ces mouvements rendent le carré (intérieur du bateau) inhabitable en dehors de la position couchée. Le passage du cap Ortgal est donc un soulagement car nous pouvons abattre en direction de la Corogne. Nous naviguons à présent au grand largue (vent 3/4 arrière), ce qui redresse le bateau. Les vagues arrivent aussi par notre arrière ce qui est beaucoup moins inconfortable. Comme souvent quand nous avons été secoués, les derniers miles nous paraissent interminables. Nous arrivons à la Corogne vers 12h30. Je n’ai malheureusement pas eu le réflexe de prendre une photo du carré à l’arrivée mais il y avait un fameux bazar.

Après l’effort vient le réconfort. Nous partons à l’assaut de la vielle ville de la Corogne. Le calme des ruelles pavées et la succession des édifices religieux sont en contraste avec l’ambiance que nous avions connue à Gijon. Notre déambulation nous mène jusqu’à la grand place qui n’a rien à envier à d’autres, plus célèbres.

Après une bonne nuit, nous reprenons le rythme, plus lent, de la vie en escale. Nous consacrons du temps à l’école et effectuons quelques travaux d’entretien sur le bateau et ainsi que deux bonnes machines de linge. Une jolie promenade le long de la ria Coruna nous mène en direction de la tour d’Hercule.

Après deux jours, nous sommes rejoints par Tarumba et Picasso. Picasso est un voilier Français en voyage, dont nous avons fait l’agréable connaissance à Ribadeo. Rapidement, nous avons échangé sur les projets et puis progressivement sur les motivations à réaliser un tel voyage. Nous avons le sentiment que cette belle rencontre aura un impact sur la suite de notre parcours. Le courant passe aussi bien entre les enfants des équipages, ce qui permet d’organiser de belles activités.

Un petit parcours « bus-train » nous mène de la Corogne à Saint-Jacques de Compostelle que nous visitons avec l’équipage de Picasso. Selon la formule consacrée, la dissipation des brumes matinales laisse place à une belle journée ensoleillée. C’est donc par ce temps flatteur que nous découvrons les veilles pierres de haut lieu du pèlerinage en Europe.