Nous avons quitté la Bretagne mi-septembre, sortant en même temps de la période des vacances scolaires. Nous ne rencontrons plus de vacanciers, mais de plus en plus d’autres familles en voyage. Les connaissances et les amitiés se lient facilement : après tout, nous avons déjà tous un gros point commun. Nous comprenons progressivement qu’il existe mille façons de voyager, plus ou moins longues, des familles plus ou moins nombreuses, avec ou sans animaux de compagnie, avec différentes préparations, et tout type de budget. En discutant de nos expériences, de nos projets et de nos motivations, il nous arrive de nuancer nos aspirations. Il n’y a pas qu’une raison de larguer les amarres, ni une seule façon de voyager. Souhaitons-nous toujours traverser l’Atlantique en 1 an ? Vraiment ? Ne vaut-il pas mieux prendre le temps, mieux approfondir chaque escale, passer l’hiver aux Canaries, voire pousser vers la Méditerranée (si le froid hivernal ne nous décourage pas) ? Il est vrai que nous ne nous attendions pas à être tant séduits par les Asturies si chaleureuses, la Galice avec son histoire et ses rias.




Les maths
Et puis, nous faisons le calcul. Nous avons parcourus environ 1200 miles nautiques depuis la Belgique, ce qui pourrait sembler beaucoup : nous naviguons à présent en 1 mois ce que nous naviguions auparavant en 1 an. Notre rythme est un mélange d’aspirations touristiques, de données météorologiques et de rencontres inattendues. Cependant, à ce rythme, nous ne bouclerons pas le tour de l’Atlantique en 1 seule petite année. Devons-nous changer de rythme ? Prolonger notre voyage ? Modifier nos étapes ? Peut-être que Christophe Colomb avait réussi le tour de l’Atlantique en 1 an, mais il n’avait pas fait de tourisme. En partageant les expériences avec différents voyageurs au long cours, le doute s’insinue peu à peu.




Le cap
Le doute ne nous empêche pas de profiter du moment présent. Les Asturies sont colorées, musicales et festives. La Galice est une région riche en histoire et en paysages, qui donnent envie de s’enfoncer dans les terres (d’autant que la mobilité douce est aisée en Espagne, et les transports en commun très bien organisés). Même si les jours d’octobre raccourcissent, les températures diurnes restent très agréables et les baignades dans les rias féeriques. Entre plage et montagne, entre culture, plongée et randonnée, le temps semble s’être arrêté. Nous découvrons, hors saisons, des havres de paix. Bien entendu, Santiago de Compostella échappe à la règle car toute saison accueille les pèlerins, très nombreux, jeunes et vieux, de tous horizons. Avec magnificence et goût, les croisades prouvent avoir été extrêmement rentables. La cathédrale et ses alentours nous impressionnent. Enfin, lorsque les vents le permettent, nous décidons de franchir le Cap Finisterre (celui où la terre se termine). La fenêtre météo devait être très favorable, car nous le franchissons plutôt bien, à notre grande surprise. Il nous semble paradoxalement plus aisé que le cap Ortegal. Nous reprenons confiance, et envie de naviguer. Nous relativisons les doutes et les maths. Nous ne savons pas si nous traverserons l’Atlantique, mais nous profitons du voyage.



La règle de 3
Pour nous, le cap Finisterre est à la fois un cap physique et symbolique. Nous avons franchi les 3 mois de voyage. Je me souviens des conseils que je donne moi-même aux autres (et que j’écoute rarement pour moi-même). Ayant passé 3 années professionnelles hors de ma ville natale, j’ai plusieurs fois dû donner des conférences sur ces années, et je suis sollicitée par les collègues qui rêvent de voyager. Après les « trucs et astuces » habituels qui permettent de s’intégrer et gagner sa vie à l’étranger, je termine souvent par : « …mais les 3 premiers mois ne comptent pas ». Parce que les 3 premiers mois sont durs, rudes, semés d’embûches, qui en valent tellement la peine, qui sont très vite oubliés tellement l’expérience globale est enrichissante. Cette règle s’applique à une expatriation, à un nouveau boulot, à la parentalité, à un déménagement, à la rénovation d’une maison. Elle s’applique encore à notre voyage. Nous devenons plus sereins, plus sûrs, plus complices. Nous accueillons le mal de mer comme un nouvel équipier à bord, qui mérite respect et considération. Nous faisons confiance à notre rythme et à notre intuition. Le cap des 3 mois est franchi. Nous profitons une dernière fois des rias espagnoles avant d’en faire le deuil : non, nous ne connaîtrons pas la Galice de fond en comble (il faudrait au moins 3 vies pour cela). Nous prenons la direction du Portugal dès que la météo nous le permet. Même si les températures sont clémentes en journées, elles chutent la nuit. Le froid est encore accentué par le vent glacial en navigation (ce vent du Nord qui nous pousse vers le Sud est aussi celui qui nous force à enfiler une combinaison de ski, la nuit, sous nos vestes de quart). En 24 heures de navigation, nous passons des vêtements de ski au short et sandales. Nous accostons avec bonheur à Porto, pleine de contrastes et de souvenirs.



