Traversée Cascais – Lanzarote

En arrivant à Cascais, nous n’avions pas l’intention d’y rester particulièrement longtemps. Mais la météo, encore et toujours, nous a fait prendre un ticket de séjour de deux semaines.

Revenons quelque peu en arrière. Le lendemain de notre arrivée, nous faisons la connaissance de l’équipage du Voilier Morpheus qui nous avait été indirectement présenté. Le courant passe bien. Nous échangeons quelques tuyaux et partageons quelques excursions, apéros et bons repas. Nos projets à court terme sont semblables, faire route vers les Canaries dès que possible. Nous identifions ensemble une première possibilité de départ, non vers les Canaries mais bien vers Madère pour le mercredi 9 novembre. Nous annulons finalement le départ faute de vent; Hors de question pour nous de faire autant de miles nautiques au moteur. Qu’à cela ne tienne, un départ pour les Canaries semble possible le dimanche 13 novembre. A nouveau, la bulle se dégonfle et nous devons post-poser le départ. Nous identifions ensuite une fenêtre météo permettant de rejoindre les Canaries pour le jeudi 17/11. Mais encore une fois, les mises à jour des prévisions métrologiques ne sont pas bonnes. Le vent est trop à l’ouest et la houle est très forte. Je suis hésitant et il m’est difficile de trouver le sommeil la nuit précédant ce départ. Finalement, le jeudi matin, je me rends à bord de Morpheus pour discuter et, en fait, leur communiquer notre décision de post-poser à nouveau le départ d’au moins 24 heures. Ils partagent notre analyse et nous replanifions un départ pour le matin du vendredi 18/11. Nous savons que les conditions seront difficiles, en particulier pour les 24 à 36 premières heures. La houle dépassera légèrement 3,5 mètres avec une période de 9-10 secondes et les rafales de vents atteindront 30 noeuds.

Le vendredi 18, nous larguons les amarres vers 9h00, non sans un brin d’anxiété en ce qui me concerne. Je suis préoccupé par les conditions attendues durant les premières heures et à cela, il faut encore ajouter le fait que la traversée compte 650 miles et devrait durer 5 jours, ce qui est une première pour nous.

Les premières heures de navigations se passent plutôt bien. Nous naviguons au grand largue, une allure assez confortable, avec deux ris dans la grand voile et le génois déroulé à moitié. La vitesse est bonne et la journée ensoleillée mais fraîche. Nous atteignons la route des cargos que nous devons croiser dans l’après midi. Il n’y a pas trop de trafic et aucune modification de cap ne s’impose. Nous sortons de ce rail en début de soirée. Cette sortie coïncide avec la tombée de la nuit et la perte de la protection offerte par le cap Roca, situé à hauteur de Lisbonne. La houle se lève donc brutalement pour atteindre plus de 3,5 mètres de haut. Comme un malheur n’arrive jamais seul, c’est aussi à ce moment que surviennent les premiers grains. Outre le désagrément de la pluie, les rafales de vent dépassent les 30 nœuds et font déferler la crête de vagues sur le bord du bateau. Par sécurité, je demande à Anne-Lise et Charlotte de se réfugier dans la cabine alors que je reste seul à la barre, bien attaché. Après la houle, les rafales et la pluie, le quatrième invité fait sont entrée à bord, le mal de mer. Nous sommes tous barbouillés. Après le passage de ces premiers grains, je remets Lady Mi sous pilote automatique et nous tentons d’organiser les quarts de nuit. Personne n’a d’appétit et nous sommes un peu en mode « survie ». Heureusement, le vent a tendance à faiblir légèrement en cours de nuit, rendant la navigation plus maniable. Les échanges réguliers à la VHF avec Morpheus nous réconfortent. Les deux voiliers ne sont distants que de quelques miles au terme de cette première nuit. La houle reste importante durant toute la deuxième journée. Difficile de récupérer du mal de mer dans ces conditions. Les progrès sont donc lents à bord et les activités réduites au strict minimum. Point positif, le vent reste établi et nous avançons à une vitesse moyenne d’environ 6 noeuds. Nous perdons le contact avec Morpheus au début de la seconde nuit. Ils sont contraint de manoeuvrer pour éviter une remontée de fond alors que, nous qui sommes légèrement décalé dans l’est, pouvons passer sans difficulté. Rapidement, les voiliers s’éloignent l’un de l’autre, hors de portée VHF. Nous continuerons toutefois à échanger nos impressions, nos conditions de navigations respectives et nos positions par satellite. La seconde nuit est plus calme que la première et nous permet de récupérer un peu. Nous dormons davantage et nous réalimentons progressivement.

Nous commençons le troisième jour de navigation avec un petit problème technique; Nos batteries se rechargent mal. Pour les recharger, nous comptons d’une part sur les panneaux solaires et d’autre part sur un hydrogénérateur, c’est à dire une sorte d’hélice qui tourne dans l’eau grâce à la vitesse du bateau et actionne une dynamo. C’est clairement l’hydrogénérateur qui produit trop peu de courant par rapport à notre vitesse. Nous craignons d’avoir accroché un cordage ou un morceau de filet de pêche dans l’hélice. J’immerge la GoPro à partir de la plage arrière pour essayer de voir ce qu’il se passe sous le bateau. L’hélice moteur est propre, ce qui est une bonne nouvelle. Nous pouvons utiliser le moteur en cas de besoin. L’hydrogénérateur, quant à lui, semble tourner mais il est impossible d’en dire plus. Nous sommes donc contraints de faire tourner le moteur du bateau durant environ une heure par jour pour recharger nos batteries. Ceux qui nous connaissent bien imaginent à quel point cela nous fait mal… Une petite plongée à l’arrivée à Lanzarote confirmera le diagnostic de filet de pêche coincé dans l’hélice de l’hydro.

La troisième nuit est assez calme. Anne-Lise et moi alternons les quarts de veille. La mer est toujours dure mais moins. Je me lève le quatrième jour pratiquement amariné. Anne-Lise va mieux également. Charlotte est moins malade que les jours précédents mais c’est encore difficile pour elle. Nous mettons une ligne de pêche à l’eau. Nous naviguons plein vent arrière avec le génois tangonné au vent sur la route pratiquement directe vers Lanzarote. Nous nous offrons un premier repas cuisiné à bord ainsi que la lecture de quelques histoires pour faire passer le temps. Nous avons maintenant largement dépassé la moitié du parcours.

Parmi les choses qui nous frappent, il y a la vitesse à laquelle la nuit tombe. La lumière du jour s’estompe rapidement entre 17h30 et 18h00, laissant place à un magnifique ciel étoilé que nous avons beaucoup de plaisir à admirer. Les étoiles filantes n’y sont pas rares. Je commence la quatrième nuit de quart alors que le vent monte sensiblement. Lady Mi se comporte bien mais je ne suis pas serein. Un cargo apparaît à l’horizon et deux relèvements successifs m’indiquent que nous sommes en route de collisions. Je n’ai pas trop envie de manœuvrer le bateau car c’est difficile avec le génois tangonné. Il faut savoir que, selon la réglementation internationale pour la prévention des abordages en mer, un navire qui navigue sous voile a « priorité » sur un cargo. Néanmoins, lorsque cela est possible, nous essayons de modifier notre route pour ne pas gêner ces monstres des mers qui sont difficiles à manœuvrer. Dans le cas présent, je contacte le cargo par radio pour discuter d’une modalité de croisement sûre. L’officier de quart me répond avec bienveillance et incline immédiatement sa route. Je le salue en lui souhaitant un bon quart. Lorsqu’Anne-Lise se réveille, le vent souffle à plus de 25 noeuds. Je profite du changement de quart et donc du fait que nous soyons deux pour réduire la voilure. Le reste de la nuit se déroule sans histoire.

Le cinquième jour de mer est celui au cours duquel nous devrions apercevoir les côtes de la Graciosa. Nous sommes euphoriques dès le réveil. Je remets une ligne de pêche à l’eau. Nous prenons un petit déjeuner et puis devons empanner pour ajuster la route. Anne-Lise qui travaille dans le cockpit alors que je suis à la plage avant entend le bruit de la ligne de pêche qui se déroute à toute vitesse. Nous terminons la manœuvre avant de remonter la ligne qui nous offre la surprise d’une bonite d’environ 3kg. C’est le premier poisson du voyage… Je passe donc la matinée à conditionner le poisson et puis à le préparer pour le repas de midi. Nous mangerons la suite durant les prochains jours. Nous faisons également notre premier pain.

En début d’après-midi, nous apercevons les volcans de la Graciosa. Nous sommes heureux de rétablir un contact visuel avec la terre mais la route est encore longue.

Peu avant la tombée de la nuit, nous enlevons le tangon et inclinons notre route en direction d’Arrecife d’où nous longerons la côte jusqu’à Playa Blanca afin d’éviter les zones d’accélération de vent. Nous pensons arriver entre deux et trois heures du matin et optons pour dormir chacun deux heures avant l’approche finale. Le vent tombe lorsque nous approchons de la côte et nous ralentissons franchement. Nous ne sommes en fait pas pressés. Nous nous laissons aller gentiment sous voiles, aidés par un peu de courant jusqu’à la Punta Papayago où nous affalons les voiles et allumons le moteur pour entrer dans le port. Il est environ trois heures du matin. Pas mal de bateaux sont mouillés à proximité de l’entrée dont certains sont à peine signalés. L’entrée est étroite et balisée par deux feux de chenaux qui flashent quatre fois toutes les 15 secondes. Cela signifie que nous perdons à chaque fois le contact visuel avec le chenal durant de longues secondes. Cela me paraît risqué et nous décidons de faire demi-tour et de mouiller à proximité de l’entrée du port. Le mouillage est malheureusement bondé et il est difficile pour nous de trouver un endroit pour jeter l’ancre. Nous répétons la manœuvre à trois reprises et à chaque fois, le mouillage dérape, probablement parce que nous sommes sur des zones de cailloux qu’il nous est impossible d’identifier de nuit. Nous n’avons donc d’autre choix que de tenter d’entrer à nouveau dans la marina, ce que nous faisons sans difficulté. Nous nous amarrons au ponton de la réception. En dépit du fait que nous avions réservé, l’accueil est plutôt froid. La réception nous signale que notre réservation n’est effective qu’à partir de midi et menace plus ou moins ouvertement de nous expulser vers le mouillage en attendant. Finalement, nous obtiendrons une place pour la fin de la matinée. Nous sommes fatigués mais heureux d’être arrivés. Les paysages que révèlent les premières lueurs du jour sont prometteurs. L’expérience de notre arrivée ainsi que d’autres, bien pires, qui nous sont relatées par la suite, nous font comprendre que la circulation dans l’archipel ne va pas être aisée. Les ports sont pleins et l’esprit nautique est bien différent de celui que nous connaissons. Partout où nous avons navigué jusqu’à présent, un bateau qui arrive dans un port est toujours accueilli, quel que soit le niveau d’occupation du port même si cela implique des solutions d’amarrage temporaires et parfois inconfortables. La situation semble malheureusement bien différente ici où un bateau est d’abord contrôlé, voire refoulé avant qu’une solution soit éventuellement trouvée. Ce premier coup de gueule ne nous empêchera aucunement de profiter de cette escale qui s’annonce très riche.