En arrivant à Cascais, nous n’avions pas l’intention d’y rester particulièrement longtemps. Mais la météo, encore et toujours, nous a fait prendre un ticket de séjour de deux semaines.
Revenons quelque peu en arrière. Le lendemain de notre arrivée, nous faisons la connaissance de l’équipage du Voilier Morpheus qui nous avait été indirectement présenté. Le courant passe bien. Nous échangeons quelques tuyaux et partageons quelques excursions, apéros et bons repas. Nos projets à court terme sont semblables, faire route vers les Canaries dès que possible. Nous identifions ensemble une première possibilité de départ, non vers les Canaries mais bien vers Madère pour le mercredi 9 novembre. Nous annulons finalement le départ faute de vent; Hors de question pour nous de faire autant de miles nautiques au moteur. Qu’à cela ne tienne, un départ pour les Canaries semble possible le dimanche 13 novembre. A nouveau, la bulle se dégonfle et nous devons post-poser le départ. Nous identifions ensuite une fenêtre météo permettant de rejoindre les Canaries pour le jeudi 17/11. Mais encore une fois, les mises à jour des prévisions métrologiques ne sont pas bonnes. Le vent est trop à l’ouest et la houle est très forte. Je suis hésitant et il m’est difficile de trouver le sommeil la nuit précédant ce départ. Finalement, le jeudi matin, je me rends à bord de Morpheus pour discuter et, en fait, leur communiquer notre décision de post-poser à nouveau le départ d’au moins 24 heures. Ils partagent notre analyse et nous replanifions un départ pour le matin du vendredi 18/11. Nous savons que les conditions seront difficiles, en particulier pour les 24 à 36 premières heures. La houle dépassera légèrement 3,5 mètres avec une période de 9-10 secondes et les rafales de vents atteindront 30 noeuds.
Le vendredi 18, nous larguons les amarres vers 9h00, non sans un brin d’anxiété en ce qui me concerne. Je suis préoccupé par les conditions attendues durant les premières heures et à cela, il faut encore ajouter le fait que la traversée compte 650 miles et devrait durer 5 jours, ce qui est une première pour nous.
Les premières heures de navigations se passent plutôt bien. Nous naviguons au grand largue, une allure assez confortable, avec deux ris dans la grand voile et le génois déroulé à moitié. La vitesse est bonne et la journée ensoleillée mais fraîche. Nous atteignons la route des cargos que nous devons croiser dans l’après midi. Il n’y a pas trop de trafic et aucune modification de cap ne s’impose. Nous sortons de ce rail en début de soirée. Cette sortie coïncide avec la tombée de la nuit et la perte de la protection offerte par le cap Roca, situé à hauteur de Lisbonne. La houle se lève donc brutalement pour atteindre plus de 3,5 mètres de haut. Comme un malheur n’arrive jamais seul, c’est aussi à ce moment que surviennent les premiers grains. Outre le désagrément de la pluie, les rafales de vent dépassent les 30 nœuds et font déferler la crête de vagues sur le bord du bateau. Par sécurité, je demande à Anne-Lise et Charlotte de se réfugier dans la cabine alors que je reste seul à la barre, bien attaché. Après la houle, les rafales et la pluie, le quatrième invité fait sont entrée à bord, le mal de mer. Nous sommes tous barbouillés. Après le passage de ces premiers grains, je remets Lady Mi sous pilote automatique et nous tentons d’organiser les quarts de nuit. Personne n’a d’appétit et nous sommes un peu en mode « survie ». Heureusement, le vent a tendance à faiblir légèrement en cours de nuit, rendant la navigation plus maniable. Les échanges réguliers à la VHF avec Morpheus nous réconfortent. Les deux voiliers ne sont distants que de quelques miles au terme de cette première nuit. La houle reste importante durant toute la deuxième journée. Difficile de récupérer du mal de mer dans ces conditions. Les progrès sont donc lents à bord et les activités réduites au strict minimum. Point positif, le vent reste établi et nous avançons à une vitesse moyenne d’environ 6 noeuds. Nous perdons le contact avec Morpheus au début de la seconde nuit. Ils sont contraint de manoeuvrer pour éviter une remontée de fond alors que, nous qui sommes légèrement décalé dans l’est, pouvons passer sans difficulté. Rapidement, les voiliers s’éloignent l’un de l’autre, hors de portée VHF. Nous continuerons toutefois à échanger nos impressions, nos conditions de navigations respectives et nos positions par satellite. La seconde nuit est plus calme que la première et nous permet de récupérer un peu. Nous dormons davantage et nous réalimentons progressivement.
Nous commençons le troisième jour de navigation avec un petit problème technique; Nos batteries se rechargent mal. Pour les recharger, nous comptons d’une part sur les panneaux solaires et d’autre part sur un hydrogénérateur, c’est à dire une sorte d’hélice qui tourne dans l’eau grâce à la vitesse du bateau et actionne une dynamo. C’est clairement l’hydrogénérateur qui produit trop peu de courant par rapport à notre vitesse. Nous craignons d’avoir accroché un cordage ou un morceau de filet de pêche dans l’hélice. J’immerge la GoPro à partir de la plage arrière pour essayer de voir ce qu’il se passe sous le bateau. L’hélice moteur est propre, ce qui est une bonne nouvelle. Nous pouvons utiliser le moteur en cas de besoin. L’hydrogénérateur, quant à lui, semble tourner mais il est impossible d’en dire plus. Nous sommes donc contraints de faire tourner le moteur du bateau durant environ une heure par jour pour recharger nos batteries. Ceux qui nous connaissent bien imaginent à quel point cela nous fait mal… Une petite plongée à l’arrivée à Lanzarote confirmera le diagnostic de filet de pêche coincé dans l’hélice de l’hydro.
La troisième nuit est assez calme. Anne-Lise et moi alternons les quarts de veille. La mer est toujours dure mais moins. Je me lève le quatrième jour pratiquement amariné. Anne-Lise va mieux également. Charlotte est moins malade que les jours précédents mais c’est encore difficile pour elle. Nous mettons une ligne de pêche à l’eau. Nous naviguons plein vent arrière avec le génois tangonné au vent sur la route pratiquement directe vers Lanzarote. Nous nous offrons un premier repas cuisiné à bord ainsi que la lecture de quelques histoires pour faire passer le temps. Nous avons maintenant largement dépassé la moitié du parcours.
Parmi les choses qui nous frappent, il y a la vitesse à laquelle la nuit tombe. La lumière du jour s’estompe rapidement entre 17h30 et 18h00, laissant place à un magnifique ciel étoilé que nous avons beaucoup de plaisir à admirer. Les étoiles filantes n’y sont pas rares. Je commence la quatrième nuit de quart alors que le vent monte sensiblement. Lady Mi se comporte bien mais je ne suis pas serein. Un cargo apparaît à l’horizon et deux relèvements successifs m’indiquent que nous sommes en route de collisions. Je n’ai pas trop envie de manœuvrer le bateau car c’est difficile avec le génois tangonné. Il faut savoir que, selon la réglementation internationale pour la prévention des abordages en mer, un navire qui navigue sous voile a « priorité » sur un cargo. Néanmoins, lorsque cela est possible, nous essayons de modifier notre route pour ne pas gêner ces monstres des mers qui sont difficiles à manœuvrer. Dans le cas présent, je contacte le cargo par radio pour discuter d’une modalité de croisement sûre. L’officier de quart me répond avec bienveillance et incline immédiatement sa route. Je le salue en lui souhaitant un bon quart. Lorsqu’Anne-Lise se réveille, le vent souffle à plus de 25 noeuds. Je profite du changement de quart et donc du fait que nous soyons deux pour réduire la voilure. Le reste de la nuit se déroule sans histoire.
Le cinquième jour de mer est celui au cours duquel nous devrions apercevoir les côtes de la Graciosa. Nous sommes euphoriques dès le réveil. Je remets une ligne de pêche à l’eau. Nous prenons un petit déjeuner et puis devons empanner pour ajuster la route. Anne-Lise qui travaille dans le cockpit alors que je suis à la plage avant entend le bruit de la ligne de pêche qui se déroute à toute vitesse. Nous terminons la manœuvre avant de remonter la ligne qui nous offre la surprise d’une bonite d’environ 3kg. C’est le premier poisson du voyage… Je passe donc la matinée à conditionner le poisson et puis à le préparer pour le repas de midi. Nous mangerons la suite durant les prochains jours. Nous faisons également notre premier pain.
En début d’après-midi, nous apercevons les volcans de la Graciosa. Nous sommes heureux de rétablir un contact visuel avec la terre mais la route est encore longue.
Peu avant la tombée de la nuit, nous enlevons le tangon et inclinons notre route en direction d’Arrecife d’où nous longerons la côte jusqu’à Playa Blanca afin d’éviter les zones d’accélération de vent. Nous pensons arriver entre deux et trois heures du matin et optons pour dormir chacun deux heures avant l’approche finale. Le vent tombe lorsque nous approchons de la côte et nous ralentissons franchement. Nous ne sommes en fait pas pressés. Nous nous laissons aller gentiment sous voiles, aidés par un peu de courant jusqu’à la Punta Papayago où nous affalons les voiles et allumons le moteur pour entrer dans le port. Il est environ trois heures du matin. Pas mal de bateaux sont mouillés à proximité de l’entrée dont certains sont à peine signalés. L’entrée est étroite et balisée par deux feux de chenaux qui flashent quatre fois toutes les 15 secondes. Cela signifie que nous perdons à chaque fois le contact visuel avec le chenal durant de longues secondes. Cela me paraît risqué et nous décidons de faire demi-tour et de mouiller à proximité de l’entrée du port. Le mouillage est malheureusement bondé et il est difficile pour nous de trouver un endroit pour jeter l’ancre. Nous répétons la manœuvre à trois reprises et à chaque fois, le mouillage dérape, probablement parce que nous sommes sur des zones de cailloux qu’il nous est impossible d’identifier de nuit. Nous n’avons donc d’autre choix que de tenter d’entrer à nouveau dans la marina, ce que nous faisons sans difficulté. Nous nous amarrons au ponton de la réception. En dépit du fait que nous avions réservé, l’accueil est plutôt froid. La réception nous signale que notre réservation n’est effective qu’à partir de midi et menace plus ou moins ouvertement de nous expulser vers le mouillage en attendant. Finalement, nous obtiendrons une place pour la fin de la matinée. Nous sommes fatigués mais heureux d’être arrivés. Les paysages que révèlent les premières lueurs du jour sont prometteurs. L’expérience de notre arrivée ainsi que d’autres, bien pires, qui nous sont relatées par la suite, nous font comprendre que la circulation dans l’archipel ne va pas être aisée. Les ports sont pleins et l’esprit nautique est bien différent de celui que nous connaissons. Partout où nous avons navigué jusqu’à présent, un bateau qui arrive dans un port est toujours accueilli, quel que soit le niveau d’occupation du port même si cela implique des solutions d’amarrage temporaires et parfois inconfortables. La situation semble malheureusement bien différente ici où un bateau est d’abord contrôlé, voire refoulé avant qu’une solution soit éventuellement trouvée. Ce premier coup de gueule ne nous empêchera aucunement de profiter de cette escale qui s’annonce très riche.
En longeant les côtes atlantiques de l’Europe, notre voyage a débuté vers l’Ouest et se poursuit vers le Sud. Arriver à la voile, c’est mesurer la distance, de tous ses muscles et de tous ses pores. A l’arrivée, les sens sont en alerte ; les yeux, les oreilles, la peau, le nez, les papilles sont prêts à s’émerveiller. Les meilleurs moments d’une vie surgissent lorsque le corps et l’esprit s’étirent à leurs limites, avec la fierté de l’accomplissement. Que dire alors d’une arrivée dans une ville comme Porto ou Lisbonne ? Les yeux, les oreilles, les papilles sont sursaturés devant ces enchevêtrements de façades dentelées, ces entrelacs de joyaux, ce dédale d’enchantements, d’azulejos colorés et de bacalhau parfumée. Des sonorités, des saveurs, des monuments transpirent des racines européennes, atlantiques, arabes, méditerranéennes. Nous arpentons les ruelles pavées escarpées en retenant notre souffle et en plissant les yeux, éboulis. La foule de badauds contraste soudain avec notre équipage réduit et des plages désertes. Ce ne sont plus les vagues qui déferlent ici, mais la marée humaine. Nous en avions perdus l’habitude.
Notre escapade vers le Sud est à présent plus régulièrement freinée par des dépressions qui nous poussent à l’abri des ports. L’arrivée de l’automne d’une part nous motive à fuir vers le Sud, mais d’autre part freine notre migration. Nous devons nous rendre à l’évidence : lorsque les éléments ne nous permettent plus d’avancer, il est peut-être temps d’en prendre son parti et de nous accorder des vacances bienvenues. Nous nous étions lancés dans le voyage en juillet, sans prendre le temps d’une pause : la pause nous rattrape. Nous nous sentions vulnérables et peu protégés à la marina Douro de Porto, mais cet abri de fortune est propice aux nouvelles rencontres, tous les équipages étant soumis aux mêmes conditions. les villes de Porto et Lisbonne nous ont émerveillés. Toutes les familles autour de nous révisent leur plans de voyage et ré-évaluent leurs possibilités.
Après cette longue pause, dès que la fenêtre météo s’ouvre, nous mettons cap vers le Sud. Nazaré est un port calme, chaleureux et bien abrité que nous partageons même avec des dauphins. Nous le quittons à regrets, mais craignant de gaspiller la moindre miette de vent favorable. Cascais offre une autre ambiance, plus balnéaire et moins familiale. Avec les autres équipages en voyage, nous guettons la prochaine fenêtre météo vers les îles de l’Atlantique. Cette fois-ci nous sentons que l’attente sera moins longue. Les vacances touchent à leur fin ; le voyage va bientôt reprendre.
Plage de NazareBoca do infernoCormorans huppésCascais
La plupart des blogueurs commencent leurs articles sur le mal de mer par quelques précautions d’usage (qu’il s’agit de leur expérience personnelle, qu’ils ne sont ni médecins, ni spécialistes du domaine, et que leurs propos doivent être interprétés avec prudence). Je n’ai pas ce privilège puisque je suis censée savoir. Par contre, malgré tout ce que la science aurait pu m’apporter, tous ceux qui ont déjà voyagé avec moi savent qu’il vaut mieux éviter d’être à mes côtés, tant je suis sensible au mal des transports.
Le mal de mer, mal des transports ou cinétose est bien connu des marins en général et de l’équipage de Lady Mi en particulier. C’est un ensemble complexe de symptômes qui apparaissent de manière plus ou moins marquée lorsqu’il y a conflit entre différentes informations sensorielles (visuelles, proprioceptives, vestibulaires principalement).1 La manifestation la plus visible est la nausée, connue depuis que l’humain navigue (d’ailleurs, le mot « nausée » lui-même dérive de la racine grecque ναυϭ, bateau, qui a également donné « nautique »).2 En réalité, les manifestations peuvent être très diverses et varier d’une personne à l’autre, et d’un moment à l’autre. Au niveau cérébral, les relations étroites entre les afférences somato-sensorielles, le cortex temporo-pariétal, le thalamus postéro-latéral et le système nerveux autonome résultent en une myriade de signes et de symptômes.3 Il n’est donc pas si simple de l’identifier, en particulier pas au stade précoce (lorsqu’il est encore temps d’agir). Soyons honnêtes : il n’existe pas de remède miracle au mal de mer. Les femmes (en particulier enceintes), les personnes d’origine asiatique, les enfants entre 6 et 12 ans et certaines familles sont particulièrement vulnérables, mais personne n’y est immunisé : chacun y est sensible à sa manière.4 Cet article ne donnera pas de traitement miracle (nous en souffrons tous), mais donnera un ensemble de stratégies qui, lorsqu’elles agissent en même temps, parviennent à le prévenir ou du moins en alléger le ressenti. En résumé, il n’y a pas une manière de lutter contre le mal de mer, mais un ensemble de mesures permettent de le vivre, de l’accueillir comme un nouvel équipier à bord qui mérite respect et considération.
Sanger & Andrews. Front Pharmacol. 2018;9:913. Zhang LL et al. CNS Neurosci Ther. 2016;22(1):15-24.
La prévention
La prévention comprend à la fois la planification du voyage, la préparation des besoins de base et les occupations à bord.
La météo
La meilleure prévention reste la sédentarité, mais dans ce cas, sont également perdus tous les bénéfices du voyage. En fonction de chacun, certaines conditions de vents, de vagues et de météo en général peuvent être plus ou moins bien supportées. On ne choisi pas l’état du ciel ni de la mer, mais on peut moduler son jour de départ et sa destination en fonction de la météo. Le vent portant, à condition qu’il soit suffisant pour gonfler les voiles et plaquer le bateau sur l’eau est, dans notre cas, mieux supporté que la navigation au près. Par contre, par temps trop calme, la navigation au près est préférée. En fonction de la force du vent, chaque équipage a une orientation plus ou moins favorable. La hauteur des vagues est une donnée importante, mais elle doit être interprétée en fonction de leur période (une houle ample et longue est préférée à des vagues courtes et raides), et de leur orientation (de dos, les vagues poussent le navire, tandis que de face, elles le freinent et pèsent sur l’estomac de l’équipage. La pire reste la houle croisée et courte). L’océan avec sa houle lente peut sembler plus léger à supporter que la mer avec sa houle rapide. Après, nous avons expérimenté le mal de mer en navigation fluviale, et même ammarés au port (oui oui, c’est possible). Dans toutes les situations, le soleil allège les symptômes et la pluie les aggrave ; ce sont donc des paramètres qui, même s’ils sont moins importants que le vent et les vagues, méritent une attention. Comme le remarque notre plus jeune équipière devant les cartes météo : « Il ne faut pas naviguer n’importe comment ».
Les besoins de base
La sagesse populaire dit qu’il faut éviter le froid, la fatigue, la frousse, la faim et la soif… facile à dire. En mer, il fait toujours plus froid qu’à terre. Selon l’orientation du vent par rapport au bateau, le froid s’aggrave (il fait plus froid au près qu’au portant, donc une simple modification de l’allure du bateau peut modifier les vêtements nécessaires). Le soleil et sa réverbération sur l’eau disparaissent la nuit, et il nous arrive d’empiler des vêtements de ski sous nos vêtements de voile la nuit (alors qu’un short suffit la journée). Avoir trop chaud n’est pas idéal non plus ; la gestion de l’habillement devient un art (sachant que chaque changement de tenue, si nécessaire soit-il, contribue aussi au mal de mer). Une marque française avait jadis vendu des vêtements « anti-mal de mer ». Elle a rapidement fait faillite (la promesse étant sans doute trop ambitieuse), mais l’idée est là : l’équipement, ni trop chaud, ni trop froid, joue un rôle important. Nous tentons de simplifier en préparant à l’avance des tenues faciles à faire et défaire. Se changer dans la houle reste un challenge, et les équipements de protection (harnais, gilets de sauvetage) n’aident pas. Avec un peu d’habitude et beaucoup de vomi, la dextérité s’améliore.
Éviter la fatigue pourrait sembler évident, sauf bien entendu lors de traversées de plusieurs jours (et nuits) où les quarts de veille s’alternent. La privation de sommeil est inévitable, mais peut être partiellement compensée par des siestes à n’importe quel moment de la journée. Une bonne dose de bienveillance est requise pour les parents qui veillent la nuit sur la navigation et imaginent des jeux en journée. Nous essayons dans la mesure du possible d’épargner l’équipier le plus fragile en lui permettant le repos à toute heure.
La peur est à la fois néfaste et salutaire, elle est celle qui nous rend prudents, mais aussi celle qui nous rend malades. Tout comme le stress et la nervosité, elle demande une gestion et une attention constante. Une bonne préparation de la navigation en amont et une bonne communication aident à prévenir la plupart des difficultés.
La faim et la soif pourraient sembler plus aisés à pallier, et pourtant… Les goûts changent en mer, et notre collation préférée à terre ne nous dit plus rien en mer. De manière paradoxale, nous n’avons plus d’appétit pour le chocolat, ni la glace, ni tout ce qui nous faisait fondre à terre. Par contre, les snacks salés ou enrichis en glutamate ont notre préférence. Chacun doit trouver sa nourriture de mer. En discutant avec des voisins de ponton, nous avions eu l’idée d’éviter les aliments riches en histamine. En effet, les anti-histaminiques sont un pilier du traitement médicamenteux du mal de mer. Il nous semblait donc intuitif d’éviter l’histamine alimentaire.5 C’était pourtant une très mauvaise idée. Il était déjà difficile de prendre la moindre nourriture avant, les évictions alimentaires ont rendu l’alimentation impossible. Nous avons vite abandonné ce régime. L’ajout de gingembre6,7 et d’huiles essentielles (citron, menthe poivrée)8 font également partie des recommandations, tout comme l’ajout de sel, de fer, de protéines et de vitamines.1 De nouveau, il y a une grande différence entre ce qui est recommandé et ce qui est littéralement ingérable en mer, en particulier pour les jeunes papilles. Ces mesures étaient impossibles à suivre. Nous avons donc simplifié le régime alimentaire au maximum : tout ce qui est possible d’avaler en mer est recommandé, tant pis pour la littérature scientifique, tant pis si la base du régime alimentaire se compose de chips au sel (à noter au passage que le goût des chips au sel est tout à fait acceptable lorsqu’ils remontent sous forme de vomi, ce qui n’est pas le cas des pistaches ni des cacahuètes). Les huiles essentielles et autres aromathérapies peuvent toujours être inhalées à défaut d’être ingérées, avec un bénéfice certes modéré.9 Notre plus jeune gastronome a baptisé « potch » un ensemble d’aliments pré-découpés, faciles à prendre aux doigts, rapidement préparés avant de prendre le large et dont nous savons qu’ils plairont à notre équipage. Il nous a fallu du temps pour le découvrir. Si j’avais su plus tôt l’attrait pour les nouilles instantanées enrichies en glutamate, ainsi que la difficulté de s’en procurer à l’étranger (la mondialisation n’est pas arrivée partout), j’en aurais certainement emporté plus au départ. La pizza est une autre valeur sûre. Comble de malchance, les symptômes de l’hypoglycémie (diminution de sucre dans le sang, conséquence des vomissements répétés et de l’absence de nutrition pendant de longues journées) ressemblent à s’y méprendre à ceux du mal de mer, nausées et vomissements inclus. Les symptômes de l’hypoglycémie ne s’arrêtent pas au port, mais c’est alors trop tard pour se rendre compte de la méprise. Nous en avons fait les frais à plusieurs reprises et y sommes maintenant particulièrement attentifs.
tant pis pour l’histamine…Allégorie de l’alimentation en mer…non sponsorisé
Si l’alimentation régulière, en petites quantités, est indispensable, l’hydratation l’est encore plus. L’environnement salin accentue la soif et la déshydratation, mais il n’est pas le seul. Les médicaments contre le mal de mer partagent cet effet secondaire ; la fatigue et la lassitude diminuent la sensation de soif ; les vomissements aggravent la déshydratation. Prévoir de l’eau douce en suffisance et aisément accessible est donc primordial.
La lutte contre l’ennui
Une fois la route choisie, et le froid, la fatigue, la frousse, la faim et la soif plus ou moins gérés, il reste… l’ennui, en particulier pour les plus jeunes membres de l’équipage. Bien entendu, lire un livre, écouter un podcast, regarder un film, dessiner ou se concentrer sur un jeu sont impossibles, sous peine de raviver le conflit entre différentes informations sensorielles et donc, le mal de transport. Certaines activités restent cependant possibles comme :
– chanter des chansons (merci aux cours de chants de mon enfance pour le répertoire, car une chanson est vite passée comparé à la durée d’une navigation : prévoir un bon chansonnier et, s’il est insuffisant, broder).
– raconter des histoires (merci aux auteurs de mon enfance pour le répertoire de contes et d’aventures ; on raconte plus lentement en mer, en s’adaptant aux bruits des vagues et au rythme de manœuvres, et nous ne pouvons donc pas confier le rôle du conteur à un podcast – ça aurait été trop facile. En cas de perte de mémoire, broder).
– écouter de la musique (choisir une playlist bien en avance, et accepter qu’elle se répète… beaucoup).
– jouer avec des dauphins (peu prévisible, mais efficace)
– réciter ses poésies, ses tables de multiplications et les verbes irréguliers en espagnol (on est sérieux ici)
– méditer, visualiser une suçette géante à la fraise et répéter son yoga (laisser le jeune équipier gérer)
Une fois bien habitués à la navigation, certains jouets sont supportés. Nous avions sous-estimé le pouvoir des Lego (si en début de navigation, ils suscitent le mal de mer à cause de la concentration qu’ils demandent, après quelques jours il est possible de les sortir. Parfois, même si le temps le permet pas de les sortir, rien que de les savoir dans l’équipet permet d’imaginer des histoires et passer le temps. Nous avions quitté la Belgique avec zéro Lego à bord (grave erreur). Compter sur un magasin de jouet ou une livraison de commande en ligne est illusoire (la mondialisation n’est pas arrivée partout). Heureusement, le marché de seconde main fonctionne partout, y compris à proximité des ports (merci Internet).
L’entraînement vestibulaire et la position
Notre projet datant de quelques années avant le départ, j’avais pris soin d’organiser des rendez-vous pour une kinésithérapie vestibulaire, pour moi-même et pour Charlotte, afin de préparer le voyage. Cet entraînement vestibulaire est certainement très utile,10,11,12 il s’agit même de la mesure non-pharmacologique la plus efficace.1 Cependant dans notre cas, le timing était mal choisi. Tout d’abord, à cause des impératifs de la vie active et de la contrainte des séances de kinésithérapie (on en sort malade), ces séances étaient probablement trop peu nombreuses et trop espacées les unes des autres pour que leur bénéfice s’additionne. Ensuite, elles étaient trop éloignées dans le temps par rapport au départ réel, or leur effet s’estompe au fil des semaines. Le bénéfice total était donc mitigé. Par contre, nous en avons retenu les principes généraux, que nous pouvons appliquer nous-mêmes en navigation pour optimaliser notre amarinage. Par exemple, la station debout pendant les navigations permet de mieux gérer les afférences proprioceptives. J’ai longtemps cherché la position idéale, qui en réalité varie en fonction du sens du vent, des vagues et de la pluie. Lorsque la navigation est au pré, se rapprocher de l’avant et porter son regard sur l’horizon devant le bateau peut aider. Lorsque la navigation est au portant, il est parfois plus utile de regarder vers le côté ou l’arrière (sauf bien entendu si les vagues viennent par l’arrière : tout un art). La station debout permet aussi de ne pas rester statique, et de pouvoir anticiper les mouvements du bateau. Tenir la barre permet également de mieux prédire les mouvements et oblige à porter son regard vers l’avant. On effectue ainsi une habituation douce et naturelle, lorsque c’est possible (lorsque le mal de mer est trop intense, c’est évidemment illusoire et il vaut mieux se coucher). Enfin, le port de lunettes de navigation (de type boarding ring) permet de compenser la stimulation visuelle.13 L’idée de ces lunettes est de donner à l’oeil les mêmes informations que l’oreille interne. Elles peuvent être un complément à l’entraînement vestibulaire mais ont leur propres limitations (elles ont une taille parfois trop larges pour les petites têtes, trop étroite pour les têtes à lunettes de vue, et comme toutes les lunettes dans la houle et les embruns, elles doivent être régulièrement nettoyées sous peine d’être contre-productives).
kiné vestibulaireapproche multimodale du mal de mer
L’acupuncture
L’acupuncture est très répandue pour prévenir les nausées et vomissements au bloc opératoire14, en chimiothérapie15,16, pour la cinétose17 ou les nausées et vomissements en général.18,19 La stimulation du point PC6 (ou nei guan) module l’activité du système nerveux autonome20 et a été décrit dans la littérature comme un moyen de réduire les nausées avec peu d’effets secondaires, que ce soit par piqûre, massage ou pression.21 Notre expérience personnelle est plus prudente quant à la prétendue absence d’effets secondaires. En effet, après plusieurs jours de navigation, des ulcères cutanés peuvent apparaître aux points de pression. Nous optons à présent pour une stimulation plus douce mais plus pro-active, peut-être moins efficace, mais au moins sans escarres.
Lv JQ, Feng RZ, Li N. Trials. 2013;14:153.
Les médicaments
Le traitement pharmacologique du mal de mer date du 19e siècle, et depuis lors le nombre de molécules disponibles n’a cessé d’augmenter. Les guerres mondiales du 20e siècle ont accéléré le développement de ces molécules, pour permettre aux marins et aux pilotes de meilleures performances sur l’ennemi.22 Les traitements de la cinétose ont alors été étudiés de manière très rigoureuse. De nos jours, et avec des objectifs pacifiques, l’objectif n’est pas de se doper ni de se droguer, mais de ne pas se priver d’un traitement qui a fait ses preuves. Il est imprudent de laisser le navire dirigé par un équipage malade, et la pharmacologie peut nous aider. Lorsque j’ai constitué notre pharmacie de bord, j’ai peut-être été trop exhaustive, en m’inspirant des listes publiées dans la littérature.23 Par contre, il existe des médicaments essentiels, qu’on emporte rarement en trop : ceux qui concernent les maladies chronique (si un/des membre(s) de l’équipage ont souffert dans le passé d’une maladie chronique, une rechute est probable) et ceux qui concernent le mal de mer. Les classes médicamenteuses les plus répandues contre le mal de mer sont les anti-histaminiques et les anti-cholinergiques. La combinaison de plusieurs classes médicamenteuses permet d’accroître leur efficacité en diminuant les effets secondaires. Prendre son traitement (quel qu’il soit) dès la veille du départ et à intervalle régulier permet d’en augmenter l’efficacité (notion pharmacocinétique : pour qu’un médicament soit efficace, il faut que son taux sanguin soit suffisant et stable ; en langage courant : tant qu’à prendre un médicament, autant qu’il fonctionne). Lorsqu’un traitement est nécessaire, nous tentons donc de l’initier au moins 12 heures avant le départ prévu, ce qui peut être difficile en cas de météo changeante et de départ impromptu (bref, on fait ce qu’on peut).
Les médicaments anti-cholinergiques
Les anticholinergiques, dont le plus connu est la scopolamine, sont les médicaments les plus anciens. Ils agissent au niveau des efférences vestibulaires vers le noyau vestibulaire et possiblement au niveau des intégrations centrales (antagoniste de récepteurs cholinergiques).24 Les effets secondaires sont donc communs à tous les médicaments anti-cholinergiques : sédation, sécheresse buccale, vertige, trouble visuel. Globalement, ces effets sont légers, bien tolérés et inférieurs au bénéfice. Ils ont les mêmes contr’indications que tous les médicaments anti-cholinergiques.25 La scopolamine est disponible selon différentes formulations (orale, transdermique, spray nasaux).24 En Belgique, il faut soit faire importer des patchs transdermiques de France (toutes les pharmacies belges le font), soit se procurer les patchs en France (les pharmacies françaises reconnaissent les prescriptions médicales belges), soit faire faire à son pharmacien une préparation magistrale orale contenant 0.2mg de scopolamine (1 à 3 gélules par jour). La scopolamine étant une spécialité chère et fournie uniquement en grand conditionnement, la plupart des pharmaciens seront réticents à la préparation magistrale (qui les oblige à acheter une large quantité pour en vendre quelques grammes). Une pharmacie côtière pourra plus facilement écouler son stock de scopolamine. Dans le cas contraire, une discussion honnête et compréhensive avec son pharmacien peut aider. Dans le budget du bateau, il est possible que le prix de la scopolamine semble dérisoire par rapport à son bénéfice, et nous pouvons toujours proposer à notre pharmacien de nous facturer son stock. L’avantage de la forme orale est sa modularité. L’avantage de la voie transdermique est que le médicament ne se vomit pas. Le patch transdermique s’applique 12h avant le départ pour une durée d’action de 3 jours (idéale pour les traversées). Nous n’avons pas d’expérience de la scopolamine en spray nasal, mais ce dernier pourrait combiner l’avantage de la modularité et d’éviter la voie digestive. Il est disponible en Allemagne à la dose de 0.4mg.26
Les médicaments anti-histaminiques
La découverte du bénéfice sur la cinétose des anti-histaminiques de première génération a été tout à fait fortuite, alors que ces molécules étaient étudiées dans de toutes autres indications.22 Les anti-histaminiques de première génération (dimenhydrinate, cinnarizine, meclizine, promethazine) agissent sur les récepteurs H1 et H2 du système vestibulaire et des circuits intégratifs du tronc cérébral (responsables des vomissements). Ils sont disponibles sous forme orale, intra-musculaire, suppositoire, gomme à mâcher et sublinguale.27 En Belgique, la cinnarizine commercialisée sous le nom de Stugeron est l’anti-histaminique qui convient le mieux aux membres adultes de notre équipage (25mg toutes les 6 à 12heures, à débuter la veille du départ). Les anti-histaminiques de première génération sont disponibles dans la plupart des pays sans prescription médicale.
Les formules pédiatriques
Le mal des transports varie en fonction de l’âge de l’enfant, selon le degré de maturation de l’oreille interne. Rare avant 2 ans, il s’accentue au fil des années et la plupart des enfants en souffrent entre 6 et 12 ans (avec un pic de sensibilité vers l’âge de 9-10 ans).28 Il s’atténue ensuite chez certains adolescents. Les manifestations cliniques peuvent varier (fatigue, irritabilité, ennui, sommeil excessif ou perturbé, apathie, dépression). L’entraînement vestibulaire est tout à fait possible chez l’enfant, avec les mêmes contraintes de temps que chez l’adulte. Dans le choix d’un traitement pharmacologique, plusieurs autres facteurs entrent en ligne de compte pour l’enfant, dont le goût, l’odeur et la facilité de déglutition. Ni les petits comprimés, ni les grandes gélules ne sont faciles à ingérer, et les anti-histaminiques en général ont un goût atroce pour les jeunes papilles. Le dimenhydrinate est disponible en dragées pédiatriques (commercialisées sous le nom de Dramamine aux US, au goût infect), en chewing gum au goût cerise (commercialisé sous le nom de Gavrol au Canada), ou en sirop au coût caramel (commercialisé sous le nom de Nausicalm en France). Quels que soient la forme et le goût choisi, au bout de quelques administrations, le médicament lui-même est associé au mal de mer et sa simple odeur déclenche les vomissements. Il est donc intéressant de changer régulièrement de forme de traitement (la molécule reste toujours la même). Il y a clairement des progrès à imaginer dans la gastronomie de l’anti-histaminique.
D’une manière générale, quelle que soit la maladie à traiter, les enfants et les femmes (en particulier enceintes) sont oubliés des études pharmacologiques et cliniques. Les données sur la sécurité et l’efficacité de nombreux médicaments sont étonnamment rares chez les enfants. En conséquence, les enfants reçoivent parfois des médicaments inefficaces ou des médicaments aux effets secondaires inconnus.29 Ils sont régulièrement les derniers à bénéficier des progrès de la médecine. Ce problème va bien au-delà du mal de mer, et n’épargne pas le mal de mer. L’exemple de la scopolamine l’illustre particulièrement. Bien que ce traitement ait le meilleur profil bénéfice/risque, il n’a pas été étudié chez l’enfant. L’absence de données en fait un traitement officiellement proscrit avant 10 ans et indisponible en doses pédiatriques. Priver un enfant du traitement le plus efficace et le plus sûr en raison du contexte dans lequel les études cliniques sont menées nous semble peu éthique. D’un autre côté, proposer un traitement pour lequel les données sont rares est compliqué. La littérature scientifique donne des injonctions contradictoires : la scopolamine n’est pas indiquée chez l’enfant, mais la dose recommandée est de 0.006 mg/kg, à répéter toutes les 6 à 8 heures chez l’enfant.28 En effet, les anti-cholinergiques sont largements utilisés chez l’enfant, pour un large éventail de pathologies. Selon les pays, l’usage de la scopolamine est répandue chez les enfants, avec des effets secondaires rares et transitoires, liés au surdosage inhérent à l’absence de dosage pédiatrique.30 Ce surdosage est pourtant évitable en découpant les patches31,32 (ce qui bien entendu, est interdit par notice, car cela n’a pas été étudié). L’administration transdermique est bien tolérée et bien pratique chez l’enfant, en évitant les écueils de la voie orale.32
Il nous arrive maintenant de renoncer à traiter, car il ne faut pas que le traitement soit pire que la maladie. Les mesures conservatives (gestion de l’environnement, habituation, prévention des besoins de base) peuvent être suffisantes.
Les autres médicaments.
Les antagonistes de la dopamine et de la sérotonine ont été étudiés dans la prévention du mal de mer, mais avec des résultats discutés. Les stimulants (amphétamines) ont surtout été étudiées dans l’industrie aéro-spatiale. Les neuroleptiques sédatifs, les glucocorticoïdes et les bloqueurs de canaux calciques pourraient avoir un effet, mais avec une balance bénéfice/risque défavorable.1 Par contre, on peut prescrire une préparation magistrale à base de Scopolamine 0.2mg, anti-histaminique de son choix et cafféine sèche pour contrebalancer l’effet sédatif. Cette préparation magistrale a l’avantage de combiner les avantages des molécules les plus efficaces et d’en réduire les effets secondaires. Les pharmaciens de la côte sont moins réticents à la préparer.
Sanger & Andrews 2018 (ref22)Echantillons du toxicomane. Aucun médicament pédiatrique oral ne passera le test du gastronome. Dès la 2e ou 3e traversée, sa simple odeur déclenche les vomissements.
Le rangement
Le remède miracle n’existe pas, mais la combinaison de plusieurs stratégies peut améliorer les choses. Cependant, dans les moments difficiles, il est difficile d’aller chercher dans un coin le bracelet d’acupuncture, de l’autre de l’huile essentielle et ailleurs la playlist. Il est donc intéressant de regrouper tout le matériel « mal de mer » au même endroit, dans un équipet accessible facilement à tous les membres de l’équipage, malades ou non. Dans le même ordre d’idée, des tenues modulables adaptées à une météo changeante peuvent être préparées à l’avance, de même que la nourriture et les boissons. Lorsque tout est prêt pour éviter le mal de mer, préparons quand même le seau, disponible, et attaché à un bout pour pouvoir le rincer régulièrement : on ne sait jamais.
Avoir tout bien rangé au même endroit et facilement disponible n’est pas en soi une mesure anti-mal de mer. Le contraire par contre peut vite tourner au cauchemard, et rendre malades les équipiers qui cherchent à venir en aide au plus fragile. Penser à tout est un défi. Par exemple, avant notre départ, habituée à la vie sédentaire, j’avais pris soin d’emporter du linge de lit en suffisance, avec des motifs floraux et agréables, en pensant que sur la mer, la verdure nous manquerait certainement. En voyage, comme les jours de lessive sont habituellement des jours de grand soleil, nous n’utilisons pas le linge de rechange : les draps lavés le matin et séchés en journée sont directement remis sur leurs lits respectifs. Au vu des paysages magnifiques de la côte atlantique de l’Europe, la verdure ne manquait pas. J’avais donc conclu que j’avais emporté à tort beaucoup trop de linge de lit, et nos draps de rechange étaient rangés dans un coffre peu accessible depuis des semaines. Trois mois plus tard, à la faveur d’une traversée mouvementée, le seau arrivant une fraction de seconde trop tard, j’ai compris qu’on n’emporte jamais trop de linge de lit, et que celui-ci doit toujours être accessible facilement. En effet, accéder à des draps dans un coffre reculé est déjà pénible au port, mais devient épique dans la houle, le froid, le vent et l’obscurité. Désormais, le linge de rechange est toujours prêt, sous la main, et nous sommes équipés de plusieurs seaux. Après tout, nous préparons déjà le bateau (voiles, bouts, électricité, hublots, vannes, grab bag) avant le départ, ceci n’est qu’un équipet de plus.
Les proches
Comme pour n’importe quelle autre maladie, si on est indemne, il vaut mieux parler peu et écouter beaucoup. Au port, lorsque nous rencontrons un équipage sujet au mal de mer, évitons les affirmations culpabilisantes/angoissantes comme : « le mal de mer dure 3 jours » (si ça se trouve, notre interlocuteur malade navigue depuis des années, n’ajoutons pas à sa détresse) ou « Ce truc fonctionne à tous les coups » (si ça se trouve, notre interlocuteur malade l’a déjà essayé, et ce qui marche sur une certaine personne dans certaines circonstances ne s’applique pas toujours). Par contre, toute nouvelle idée est bonne à prendre, si elle s’intègre à la longue liste des stratégies déjà en place. En mer, laissons la personne malade choisir sa position, ses vêtements, sa nourriture. Il est tentant de vouloir aider à tout prix, de partager ses propres astuces, mais la position qui convient à l’un, sous certaines conditions de vent, ne conviendra pas à tous, de même que l’habillement, les goûts alimentaires et le reste. N’insistons pas. Ne posons pas non plus trop de questions (s’inquiéter est certes bien intentionné, mais il est possible que votre interlocuteur serre les dents : le forcer à parler risque de vous arroser de vomi). Dans le même ordre d’idée, acceptons les phrases brèves et n’exigeons pas la politesse (crier « seau ! » n’a rien de malpoli. Les formules de politesse pourraient retarder l’arrivée du seau et nécessiter un nettoyage malvenu. Notre plus jeune équipière nous le répète : « Chaque seconde qui passe est déjà un exploit », inutile d’accumuler les questions.
On est toujours seul face au mal de mer…… quoi qu’en disent ceux qui ont la formule miracle (pour eux)
Enfin, pensons à assurer la sécurité de l’équipier malade : il n’a plus tous ses réflexes. Veillons à son harnais, en particulier s’il lui venait l’idée de se reposer à la plage avant (si la mer le permet, ce qui est rare) ou de vomir par dessus bord. Le mal de mer est désagréable, mais un équipier à la mer a des conséquences autrement plus graves et irréversibles. Depuis la nuit des temps on raconte des histoires de marins qui se sont jetés à la mer à l’appel de séduisantes sirènes.33 Il s’agit probablement d’une interprétation poétique du mal de mer, qui pousse les marins à se jeter à l’eau et ne jamais revenir.
déjà à l’époque, l’équipier malade est attaché…
Références
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33. Homer, The Odyssey, Book XII 33-200, Written 800 B.C.E.
Lorsque nous arrivons à Porto, nous pensons n’y rester que quelques jours puis continuer notre route vers le sud. Malheureusement, les conditions météorologiques en décident autrement. Plutôt que de rester bloqués dans le port qui n’est pas particulièrement confortable, nous décidons de nous offrir quelques jours de vacances. Nous réservons des billets de train ainsi qu’un logement à Lisbonne et quittons le bateau quatre jours.
Nous arrivons à la gare Santa Apolina de Lisbonne par un début d’après-midi ensoleillé. La gare se trouve au pied du quartier historique de d’Alfama que nous traversons pour arriver à notre logement. Nous passons l’après-midi et la soirée à déambuler dans les ruelles de ce quartier historique au gré de notre inspiration. Nous décidons de consacrer la journée du lendemain à l’exploration du quartier de Belem. Pour la petite histoire, une erreur dans le choix de l’arrêt de bus nous conduit bien au delà de notre destination. Nous visitons donc malgré nous les faubourgs durant une marche de plus d’une heure qui nous ramène vers la tour de Belem et le monument aux Découvertes. A nouveau, nous sommes impressionnés par la quantité de touristes (dont nous faisons partie) qui visitent la ville à cette saison. Il y a tant de monde qu’il est illusoire de visiter l’un de ces sites sans réservation préalable. Nous nous contentons donc d’une longue promenade sous le soleil, entre le front de mer et le monastère des Hiéronymites. Forts de cette expérience, nous réservons en ligne des tickets pour la visite du château St Georges le lendemain. Ironie du sort, il pleut tellement qu’il y a très peu de visiteurs au château et que nous sommes les seuls de notre groupe. Nous bénéficions donc d’un guide privé durant une heure. L’après-midi nous conduit à la Praça do Comercio et au quartier plus commerçant. Nous y admirons l’ascenseur de Santa Justa qui tombe en panne devant nos yeux, provoquant la dissipation de la longue file des prétendants à la promenade, ainsi que le couvent des Carmes. Enfin, nous terminons notre parcours par la visite du quartier historique de la Baixa avant de reprendre le train en direction de Porto.
Les conditions météorologiques ne sont pas bien meilleures lorsque nous rentrons à Porto. Dès la sortie du train en début de soirée, nous sentons l’humidité et nous avons l’impression d’un contraste climatique avec Lisbonne. Ça promet… Lorsque nous regagnons le bateau, nous constatons que le port est « agité ». Les pontons dansent dans tous les sens, le bateau bouge énormément et tire sur les amarres. L’abri n’est manifestement pas aussi bon que prétendu par le guide nautique lorsque la houle s’oriente à l’ouest sud-ouest. Nous essayons d’assagir un peu les mouvements en doublant les amarres pour la sécurité d’un part et d’autre part en ayant recours à de veilles amarres toronnées qui amortissent mieux les chocs. Enfin, nous installons des amortisseurs en caoutchouc sur certaines d’entre elles. Dans l’ensemble, ça fonctionne plutôt bien mais on ne peut quand même pas prétendre que la marina soit abritée ou confortable. J’écris même un mail à l’éditeur du célèbre almanach nautique « Le Reeds » pour lui faire part de notre déconvenue en espérant que cela aide d’autres navigateurs.
Comme les dépressions s’enchaînent, la mer ne se calme jamais et les vents restent contraires. Quelques équipages, téméraires, tentent néanmoins de pointer leurs étraves vers le sud. Plusieurs d’entre eux doivent faire demi tour devant la rudesse des conditions. Pour notre part, nous nous contentons d’observer la force des éléments depuis le rivage.
Nous retournons à Porto par une journée ensoleillée. La marche le long du Douro est très agréable. Depuis la berge nord du Douro, nous escaladons le Jardim da Cordoaria en direction du musée de la médecine avant de redescendre visiter le musée « World of Discoveries » qui retrace, pour les enfants, l’histoire des grands navigateurs portugais dans une version très centrée sur le Portugal. En fin d’après-midi, nous retrouvons avec bonheur l’équipage de Picasso en visite à Porto. Nous passons la soirée à Villa Nova de Gaia avant de reprendre le chemin de la marina.
Comme tout vient à point à qui sait attendre, une amélioration se profile après presque trois semaines d’attente. Le port rouvre un samedi après-midi et les premiers équipages ne tardent pas à s’en échapper. Pour notre part et après de longues discussion avec d’autres équipages, nous optons pour un départ le lundi 31/10 à la mi-journée. En effet, le vent doit basculer au nord pour environ 24 heures et nous espérons ainsi faire de bon progrès. Les prévisions annoncent toutefois une mer de deux mètres assez courte. Nous ne savons donc pas comment nous allons la tolérer et optons pour un plan de navigation « ouvert ». En pratique, nous mettons cap au sud et naviguons aussi longtemps que le vent souffle et que nous supportons l’état de la mer. La côte offre un abri tous les 30 miles environs. Nous pouvons donc nous arrêter facilement.
La navigation de Muros jusqu’à Porto s’est bien déroulée. Nous avons bénéficié d’une bonne fenêtre météo et somme arrivés à Porto le mercredi 12/10 sous le soleil de fin d’après-midi après 22 heures de mer. La marina n’est pas située à proximité immédiate de la ville de Porto. Elle se trouve sur l’autre rive du Douro, dans un charmant petit village de pêcheurs dénommé Afurada. Pour rejoindre le centre de Porto, il faut compter environ une heure de marche ou de bus mais à nouveau, cette localisation inattendue est l’occasion de faire de belles découvertes.
Premièrement, le village d’Afurada vaut le détour à lui seul. Ses ruelles et ses petites maisons colorées semblent accrochées à la rive du Douro. Le lavoir manuel toujours en activité et les cordes à linge donnent l’impression que le temps s’est arrêté alors que l’odeur du poisson grillé qui embaume les coins de rue et le petit musée local nous rappellent que nous sommes dans un village de pêcheurs.
De l’autre côté de la marina, nous découvrons un chemin qui mène à l’océan en traversant la réserve naturelle de l’estuaire du Douro, un sanctuaire ornithologique.
Nous nous rendons ensuite à Porto même, que nous abordons par le parc Jardim di Moro et puis le pont Luis 1 qui nous amène presque directement à la gare Sao Bento dont la les 20.000 carreaux de faïence de la « salle des pas perdus » font crépiter les flash d’une multitude de touristes. Nous sommes d’ailleurs surpris par le nombre de touristes qui déambulent dans les rues de cette ville à une période que nous croyions « hors saison ». Nous passons la journée à flâner dans les différents quartiers de la ville en laissant notre regard accrocher tantôt la façade ornée de faïence d’une maison, tantôt une église ou encore un monument. Que ce soit depuis l’intérieur de ses rues et ruelles ou bien avec un peu de recul depuis les berges du Douro, Porto séduit nos yeux. Nous avons d’ailleurs l’impression d’être toujours enchantés par les endroits que nous visitons. Il n’est pas impossible que cela s’explique en partie par notre mode de voyage. En effet, lorsque l’on voyage en bateau, l’arrivée dans une nouvelle ville se prépare et se mérite. Elle commence avec la recherche d’une fenêtre météo, la préparation de la navigation puis la navigation en elle-même, parfois magique et parfois dure, tant et si bien que l’arrivée est vécue comme une récompense et le plaisir d’être là décuplé.
Nous sommes arrivés à Porto un mercredi et pensions, sur base des prévisions météorologiques du moment, pouvoir reprendre la mer le week-end ou le début de la semaine suivante. Malheureusement, la fenêtre météorologique que nous avions identifiée pour descendre le long de la côte portugaise a rapidement disparu a la faveur de la mise à jour des modèles. Depuis lors, la côte portugaise est balayée par une succession de dépressions qui amènent un vent du sud le long de la côte et une houle d’ouest. Les conditions de mer sont donc rapidement devenues peu propices à la navigation vers le sud après notre arrivée à Porto et se sont dégradées jusqu’à un tel point que le port est actuellement complètement fermé car la houle rendrait toute tentative d’entrée ou de sortie hasardeuse. Pour quitter Porto en direction du sud, nous avons besoin de plusieurs jours de vent orienté au secteur nord. Ces vents, habituellement dominants sur la côte portugaise, sont produits par l’action de l’anticyclone des Açores. A l’heure actuelle, cet anticyclone semble « refoulé » par les dépressions et se situe à la latitude des Canaries. C’est donc un peu comme si nous avions perdu notre moteur. Nous devons donc attendre que les dépressions passent et que l’anticyclone des Açores reprenne sa position habituelle et se « regonfle » pour amener le vent nécessaire à notre progression. Lady Mi reste donc à Porto et ce probablement encore pour une dizaine de jours à en croire les prévisions actuelles.
Gauche: Situation actuelle. D= dépression sur les Açores. A. Anticyclone réduit et à la latitude des Canaries. Vent du sud sur le Portugal. Droite: Situation espérée. A: Anticyclone à la latitude des Açores. Dépression plus au nord. Vent du nord sur le Portugal.
Nous avons quitté la Bretagne mi-septembre, sortant en même temps de la période des vacances scolaires. Nous ne rencontrons plus de vacanciers, mais de plus en plus d’autres familles en voyage. Les connaissances et les amitiés se lient facilement : après tout, nous avons déjà tous un gros point commun. Nous comprenons progressivement qu’il existe mille façons de voyager, plus ou moins longues, des familles plus ou moins nombreuses, avec ou sans animaux de compagnie, avec différentes préparations, et tout type de budget. En discutant de nos expériences, de nos projets et de nos motivations, il nous arrive de nuancer nos aspirations. Il n’y a pas qu’une raison de larguer les amarres, ni une seule façon de voyager. Souhaitons-nous toujours traverser l’Atlantique en 1 an ? Vraiment ? Ne vaut-il pas mieux prendre le temps, mieux approfondir chaque escale, passer l’hiver aux Canaries, voire pousser vers la Méditerranée (si le froid hivernal ne nous décourage pas) ? Il est vrai que nous ne nous attendions pas à être tant séduits par les Asturies si chaleureuses, la Galice avec son histoire et ses rias.
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Les maths
Et puis, nous faisons le calcul. Nous avons parcourus environ 1200 miles nautiques depuis la Belgique, ce qui pourrait sembler beaucoup : nous naviguons à présent en 1 mois ce que nous naviguions auparavant en 1 an. Notre rythme est un mélange d’aspirations touristiques, de données météorologiques et de rencontres inattendues. Cependant, à ce rythme, nous ne bouclerons pas le tour de l’Atlantique en 1 seule petite année. Devons-nous changer de rythme ? Prolonger notre voyage ? Modifier nos étapes ? Peut-être que Christophe Colomb avait réussi le tour de l’Atlantique en 1 an, mais il n’avait pas fait de tourisme. En partageant les expériences avec différents voyageurs au long cours, le doute s’insinue peu à peu.
A CorunaCamarinasA Coruna
Le cap
Le doute ne nous empêche pas de profiter du moment présent. Les Asturies sont colorées, musicales et festives. La Galice est une région riche en histoire et en paysages, qui donnent envie de s’enfoncer dans les terres (d’autant que la mobilité douce est aisée en Espagne, et les transports en commun très bien organisés). Même si les jours d’octobre raccourcissent, les températures diurnes restent très agréables et les baignades dans les rias féeriques. Entre plage et montagne, entre culture, plongée et randonnée, le temps semble s’être arrêté. Nous découvrons, hors saisons, des havres de paix. Bien entendu, Santiago de Compostella échappe à la règle car toute saison accueille les pèlerins, très nombreux, jeunes et vieux, de tous horizons. Avec magnificence et goût, les croisades prouvent avoir été extrêmement rentables. La cathédrale et ses alentours nous impressionnent. Enfin, lorsque les vents le permettent, nous décidons de franchir le Cap Finisterre (celui où la terre se termine). La fenêtre météo devait être très favorable, car nous le franchissons plutôt bien, à notre grande surprise. Il nous semble paradoxalement plus aisé que le cap Ortegal. Nous reprenons confiance, et envie de naviguer. Nous relativisons les doutes et les maths. Nous ne savons pas si nous traverserons l’Atlantique, mais nous profitons du voyage.
Santiago de CompostellaCap FinisterreMuxia
La règle de 3
Pour nous, le cap Finisterre est à la fois un cap physique et symbolique. Nous avons franchi les 3 mois de voyage. Je me souviens des conseils que je donne moi-même aux autres (et que j’écoute rarement pour moi-même). Ayant passé 3 années professionnelles hors de ma ville natale, j’ai plusieurs fois dû donner des conférences sur ces années, et je suis sollicitée par les collègues qui rêvent de voyager. Après les « trucs et astuces » habituels qui permettent de s’intégrer et gagner sa vie à l’étranger, je termine souvent par : « …mais les 3 premiers mois ne comptent pas ». Parce que les 3 premiers mois sont durs, rudes, semés d’embûches, qui en valent tellement la peine, qui sont très vite oubliés tellement l’expérience globale est enrichissante. Cette règle s’applique à une expatriation, à un nouveau boulot, à la parentalité, à un déménagement, à la rénovation d’une maison. Elle s’applique encore à notre voyage. Nous devenons plus sereins, plus sûrs, plus complices. Nous accueillons le mal de mer comme un nouvel équipier à bord, qui mérite respect et considération. Nous faisons confiance à notre rythme et à notre intuition. Le cap des 3 mois est franchi. Nous profitons une dernière fois des rias espagnoles avant d’en faire le deuil : non, nous ne connaîtrons pas la Galice de fond en comble (il faudrait au moins 3 vies pour cela). Nous prenons la direction du Portugal dès que la météo nous le permet. Même si les températures sont clémentes en journées, elles chutent la nuit. Le froid est encore accentué par le vent glacial en navigation (ce vent du Nord qui nous pousse vers le Sud est aussi celui qui nous force à enfiler une combinaison de ski, la nuit, sous nos vestes de quart). En 24 heures de navigation, nous passons des vêtements de ski au short et sandales. Nous accostons avec bonheur à Porto, pleine de contrastes et de souvenirs.
Nous quittons Muxia le vendredi 7 Octobre, toujours en flottille avec les voiliers Tarumba et Picasso. La navigation d’une quarantaine de milles nautiques doit nous emmener vers la ria Muros en passant par le cap Finisterre. Le vent du nord souffle à environ 15 nœuds avec des rafales entre 20 et 25 nœuds. Nous redoutons tous un peu le passage du cap Finisterre, le point le plus à l’ouest de la côte Espagnole. En effet, ce cap est réputé pour provoquer des accélérations importantes du vent et lever la mer. Ce jour là, les éléments sont cléments. Nous passons au large du cap à la faveur d’un vent qui reste stable et avec une bonne houle mais longue et rangée. Tous les équipages apprécient la navigation et admirent la beauté de cette partie de la côte Galicienne.
Après le passage du cap, le vent tombe. Nous larguons les deux ris que nous avions pris, par précaution, dans la grand voile et déroulons le génois. Un peu plus tard, le vent est si faible que nous envoyons le spi. Nous amarrons finalement fin d’après-midi alors que le soleil est encore bien présent. Après un bref rangement des bateaux et une douche, nous fêtons ce passage tous ensemble. Encore merci à Picasso pour le rhum.
Les jours suivants sont consacrés à la découverte de Muros et de ses alentours. La ville est petite mais coquette. En famille, en couple, en solo ou entre amis, on ne se lasse pas de parcourir ses petites ruelles pavées et d’admirer les jolies façades des maisons. Sur les hauteurs, après les dernières maisons du village, s’érige une imposante forêt d’eucalyptus qui offre de belles balades.
Après quelques jours, il est temps de recommencer l’éternel jeux de l’analyse des prévisions météorologiques et de la planification du départ. En résumé, il reste quelques jours de très beau temps avant l’arrivée d’une dépression dont deux jours de vent établi et deux jours de vent plus faible. Deux possibilités s’offrent à nous. La première consiste à continuer à explorer les rias Galiciennes puis à se réfugier à Baiona pour le mauvais temps. La seconde option est de profiter des deux jours de vent pour descendre plus au sud, vers le Portugal. Les échanges vont bon train au sein des équipages. Nous décidons finalement de faire route vers le Portugal alors que Picasso et Tarumba préfèrent rester encore un peu en Galice.
Nous avons rencontré le voilier Tarumba quelques mois avant le départ. Les motivations qui poussent à entreprendre un tel voyage et à rompre avec le quotidien nous ont rapproché. Par un heureux hasard, nous avons croisé la route du voilier Picasso à Ribadeo. Nous sommes rapidement passé de la solidarité maritime à un vraie belle rencontre. Nous avons énormément apprécié les moments partagés lors des escales et la navigation en flottille avec ces deux équipages que nous espérons retrouver bientôt sur la route. La décision de prendre une route différente est donc difficile. Notre choix est motivé par l’envie de profiter d’une environnement plus citadin durant le mauvais temps et de progresser vers le sud car le temps avance à grands pas et nous craignons une dégradation des conditions de navigation avec l’arrivée de l’hiver.
Nous laissons partir les équipages de Tarumba et Picasso en balade alors que nous préparons le bateau. Les ammarres sont larguées le mardi 11 Octobre vers 19h30 et Lady Mi prend la direction du Portugal. Le coucher de soleil sur l’eau est magnifique mais nos petits cœurs sont un peu lourds car non seulement nous quittons les copains, mais ce départ signifie aussi la fin de notre séjour en Espagne continentale. C’est ça aussi le voyage…
Après un peu plus d’une semaine passée à La Coruna, il est temps d’envisager le départ. Nous décidons de mettre cap vers la ria Camarinas qui se trouve à environ 50 miles nautiques de la Coruna, ce qui représente plus ou moins dix heures de navigation. Le vent prévu est assez faible mais nous pensons avoir trouvé un bon créneau la nuit du 2 au 3 Octobre. En partant vers 20h00, nous devrions arriver au lever du jour à Camarinas. Nous larguons donc les amarres le dimanche 2 Octobre vers 20h00 pour une navigation en flottille avec le voilier Picasso. Le vent est bien établi au départ et nous avançons bien sur la route. Malheureusement, il vent tombe progressivement en début de nuit, nous obligeant à lutter pour garder les voiles gonflées. Vers minuit, la situation est telle que nous craquons et allumons le moteur. Le réconfort apporté par les conversations VHF avec l’équipage de Picasso est bien nécessaire car la navigation de nuit, dans la houle et sans vent n’a rien d’agréable. Vers 4h00 du matin nous retouchons suffisamment de vent que pour renvoyer les voiles et éteindre le moteur. Nous entrons dans la Ria Camarinas alors qu’il fait encore nuit noire. Pour arriver au port, nous slalomons entre les petits bateaux de pêche tout en essayant de respecter l’alignement indiqué par le feu de secteur. Nous amarrons vers 7h00 du matin et contrairement à nos habitudes, nous ne rangeons rien dans la bateau et filons prendre quelques heures de sommeil.
Nous nous réveillons vers 11h00 et partons à l’assaut des petites ruelles de Camarinas après un copieux petit-déjeuner. Camarinas est un petit port dont l’activité est largement dominée par la pêche. En parcourant les ruelles, on sent que la saison touristique est bel et bien finie. La plupart des bars et restaurant ne sont plus ouverts que les jours de week-end et fériés.
Après une bonne nuit de sommeil, nous décidons d’aller profiter des joies du mouillage. Nous quittons donc le port et mouillons l’ancre au large de la Punta Lingundia. Nous profitons d’une longue balade en paddle jusqu’à une plage quasi déserte et puis d’un super dîner croques-messieurs à bord de Picasso.
Dans la mesure où une dégradation des conditions météorologiques est attendue, nous levons l’ancre le lendemain matin pour une navigation au moteur de 2 milles jusqu’au port de Muxia où nous sommes bien contents de retrouver Tarumba. La ville de Muxia est plus grande que Camarinas et offre davantage de balades, dont celle qui mène à la pointe de la Barca.
Nous en profitons aussi pour faire un peu de nettoyage et quelques réparations à bord. En effet, nous nous sommes rendus compte que le feu de mouillage changé à Brest ne fonctionnait déjà plus. Nous décidons donc de monter au mât et de changer toute l’installation, y compris le câble qui chemine dans le mât. Nous réalisons une soudure propre et étanche à terre et utilisons l’ancien câble comme tire-fil pour descendre l’autre extrémité du nouveau câble depuis le sommet du mât vers le boiter de raccords en pied de mât. Malheureusement, la jonction entre les deux fils casse durant la manœuvre. Nous décidons de tenter notre chance et de descendre le fil dans le goulotte prévue à cet effet sans autre guide. Aidés par la chance et la gravité, nous arrivons à amener le fil en pied de mât mais il faut encore le récupérer par un tout petit trou. Miracle de la solidarité maritime, Tarumba possède à bord une petite caméra endoscopique qui nous permet de localiser le fil et de le récupérer. Nous voilà donc avec une installation révisée de fond en comble. Pourvu qu’elle dure…
Sur les pontons, nous rencontrons aussi une famille qui s’apprête à terminer un tour du monde débuté 13 ans plus tôt. Ils nous font le plaisir de partager quelques-unes de leurs anecdotes lors d’un apéro. C’est dans ces moments là que l’on comprend que le mot « aventure » comporte différents niveaux…
Après quelques jours passés à Ribadeo, nous pensons à reprendre la route et nous recommençons donc l’éternel jeu de l’analyse des prévisions météorologiques. Nous souhaitons mettre le cap vers la Corogne. La navigation n’est pas simple car elle impose plusieurs changements de cap et donc d’allure ainsi que le passage de la pointe de Bares et du cap Ortegal. Ces passages sont connus pour produire des accélérations de vent importantes. De surcroît, la mer y est souvent assez forte même lorsque les conditions de navigation sont considérées comme maniables. Nous connaissons, indirectement, deux équipages qui ont dû faire demi-tour avant la pointe de Bares. Si cela devait nous arriver, la ria Viveiro est notre solution de repli.
Nous optons finalement pour un départ le vendredi 23 septembre en début de soirée. Cette fenêtre météo comporte pour nous plusieurs avantages. Premièrement, la houle annoncée est raisonnable, en particulier en début de navigation. C’est important parce que, durant la première partie, nous devrons naviguer contre les vagues. Lorsqu’elles sont trop hautes, elles ralentissent la progression et créent des conditions très inconfortables. Deuxièmement, le vent est annoncé nord nord-est modéré. Nous devrons donc tirer des bords de prés pour nous dégager de la côte, mais la suite de la navigation se fera au travers et puis au portant.
Nous larguons les amarres vers 20h00 et établissons les voiles. Le vent est encore faible mais nous permet de progresser à une vitesse de 4 noeuds. La houle est supportable. Après trois quarts d’heure de navigation, nous apercevons au large des fusées. Elles ressemble à un tir de feux d’artifices rouges et blancs. Elles ne sont pas typiques des fusées de détresse utilisées par les navires qui appellent à l’aide. Nous prenons un relèvement au compas qui nous confirme qu’il est impossible que ces fusées soient tirées de la côte. Nous n’apercevons pas de navire dans la direction des tirs et il n’y a pas non plus de contact radar. Nous hésitons quant à qui appeler. Le temps de chercher, nous sommes contactés à la VHF par la « radio navale » qui nous indique que le MRCC (centre de coordination des secours maritimes) Gijon souhaite entrer en contact avec nous. L’officier de quart nous demande si nous avons aperçu quelque chose d’anormal. Je lui explique les lumières dans le ciel et l’absence de contact radar ou visuel avec un autre bateau. Il nous remercie et nous rassure en évoquant la possibilité d’un exercice militaire. Les tirs cessent et le nuit tombe. Nous apercevons alors, toujours dans la direction des tirs, des feux évoquant la présence d’un navire. Nous ne reconnaissons toutefois pas la combinaison classique des feux de navigation. Un contact radar apparaît à 4,3 miles nautiques de notre position. Nous surveillons le contact et continuons notre route. La distance entre le bateaux est stable et il n’y a pas de route de collision. Après environ une heure, le contact disparaît subitement. Nous ne saurons jamais de quoi il s’agissait.
Charlotte va dormir et nous organisons les quarts de nuit. Pour cette navigation qui s’annonce agitée, nous avons aménagé le carré en mode navigation de nuit. Cela signifie que nous abaissons la table pour disposer d’un grande surface pour s’allonger au plus près du centre de gravité du bateau, c’est à dire là ou ça bouge le moins et que nous mettons une toile anti-roulis pour que celui qui dort sur la banquette ne soit pas éjecté par les mouvements du bateau. C’est Charlotte qui dort sur la banquette tandis que l’équipier qui n’est pas de quart dort dans une cabine arrière.
La mer se lève progressivement et nous essuyons des grains, courts épisodes de pluie intense accompagnée de rafales de vent. Nous abattons au travers avant la pointe de Bares. Le vent est établi à 15 nœuds et les rafales atteignent entre 20 et 25 nœuds. Nous naviguons avec deux ris dans la grand voile et le génois partiellement roulé; Lady Mi file entre 7 et 8 nœuds. Les vagues ne sont pas particulièrement hautes mais la mer est courte et désordonnée, ce qui entraîne des mouvements brusques du bateau. Associés à la gîte, ces mouvements rendent le carré (intérieur du bateau) inhabitable en dehors de la position couchée. Le passage du cap Ortgal est donc un soulagement car nous pouvons abattre en direction de la Corogne. Nous naviguons à présent au grand largue (vent 3/4 arrière), ce qui redresse le bateau. Les vagues arrivent aussi par notre arrière ce qui est beaucoup moins inconfortable. Comme souvent quand nous avons été secoués, les derniers miles nous paraissent interminables. Nous arrivons à la Corogne vers 12h30. Je n’ai malheureusement pas eu le réflexe de prendre une photo du carré à l’arrivée mais il y avait un fameux bazar.
Après l’effort vient le réconfort. Nous partons à l’assaut de la vielle ville de la Corogne. Le calme des ruelles pavées et la succession des édifices religieux sont en contraste avec l’ambiance que nous avions connue à Gijon. Notre déambulation nous mène jusqu’à la grand place qui n’a rien à envier à d’autres, plus célèbres.
Après une bonne nuit, nous reprenons le rythme, plus lent, de la vie en escale. Nous consacrons du temps à l’école et effectuons quelques travaux d’entretien sur le bateau et ainsi que deux bonnes machines de linge. Une jolie promenade le long de la ria Coruna nous mène en direction de la tour d’Hercule.
Après deux jours, nous sommes rejoints par Tarumba et Picasso. Picasso est un voilier Français en voyage, dont nous avons fait l’agréable connaissance à Ribadeo. Rapidement, nous avons échangé sur les projets et puis progressivement sur les motivations à réaliser un tel voyage. Nous avons le sentiment que cette belle rencontre aura un impact sur la suite de notre parcours. Le courant passe aussi bien entre les enfants des équipages, ce qui permet d’organiser de belles activités.
Un petit parcours « bus-train » nous mène de la Corogne à Saint-Jacques de Compostelle que nous visitons avec l’équipage de Picasso. Selon la formule consacrée, la dissipation des brumes matinales laisse place à une belle journée ensoleillée. C’est donc par ce temps flatteur que nous découvrons les veilles pierres de haut lieu du pèlerinage en Europe.
Après une bonne nuit de sommeil, nous partons à l’assaut du centre de Gijón. Nous apprécions les ruelles pavées et les maisons colorées. L’ambiance est chaleureuse. Au détour de la promenade, nous atteignons la « Iglesia de San Pedro », est un des fleurons architecturaux de la ville historique.
La visite des thermes Romains, tout proches, nous rappelle qu’il y a plus de 2000 ans, cette civilisation disposait déjà de tous les fondamentaux du confort moderne. Nous faisons aussi une très belle balade le long de la côte et Charlotte découvre avec bonheur le principe des tapas.
Même si nous sommes contents d’avoir « traversé » le golfe de Gascogne, il faut admettre que Gijon se trouve toujours sur les côtes du golfe. Nous savons qu’il est statistiquement plus difficile de voyager vers l’ouest car cela implique de naviguer contre les vents dominants. Par conséquent, dans la mesure où le vent s’oriente à l’est, nous décidons de ne pas prolonger notre séjour à Gijon et de mettre le cap sur Ribadeo le mardi 20 septembre. Une fois de plus, cette analyse est partagée par l’équipage de Tarumba ; nous quittons ensemble la marina vers 8h00 du matin. Nous savons que les deux premières heures de navigation seront difficile car le vent est annoncé faible. Il doit s’établir vers 10h00. Nous commençons donc par un peu de moteur dans une mer formée. Nous sommes ballottés dans tous les sens par la houle et le résultat ne se fait pas attendre, nous sommes tous malades. Nous prenons l’options de naviguer vers le large avec l’espoir de toucher du vent au plus vite et de pouvoir hisser les voiles afin de stabiliser le bateau et soulager notre mal de mer. Il nous faut toutefois attendre la fin de la matinée avant d’avoir une petite dizaine de nœuds de vent établis qui nous permettent de hisser le spi et de faire enfin route vers l’ouest. Cette allure nous soulage et nous faisons un long bord de sud ouest qui nous rapproche de la côte avant d’abattre jusqu’au vent arrière et de tangonner le genois. Le vent monte dans l’après-midi avec des rafales qui atteignent 27 nœuds. Nous prenons deux ris dans la grand voile et roulons un peu le genois. Le bateau est stable et file entre 7 et 8 nœuds sur la route directe vers Ribadeo. Nous restons régulièrement en contact radio avec Tarumba et arrivons à notre destination vers 20h30 après une navigation d’environ 80 miles.
Tant durant la navigation que lors de l’entrée dans la ria de Ribadeo, nous sommes séduits par la beauté de la côte qui offre un paysage de moyenne montagne verdoyant. C’est un peut comme si le Tyrol avait été déplacé au bord de la mer.
Ribadeo est une petite ville charmante dont nous parcourons les ruelles avec plaisir et qui offre de belles découvertes architecturales.
Nous nous rendons également sur la plage des Cathédrales où la mer a, au fil des siècles, sculpté le schiste en un large éventail de colonnes et d’arches toutes aussi spectaculaires les unes que les autres.